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Plaisir et sens au travail : à quelles conditions ?


Que se passe t-il aujourd'hui au travail ?

Pour échanger sur ces questions, nous avons invité Marie-Anne Dujarier auteur de L'idéal au travail. Maître de conférence en sociologie à l'université de Paris III, elle a mené cette recherche au sein du laboratoire de changement social ( Paris VII) sous la direction de Vincent de Gaulejac.

Marie-Anne Dujarier a choisi, dans son ouvrage, d'analyser le processus deprescription et de normalisation de l'idéal au sein de deux organisations : un service de gériatrie longue durée et une grande chaîne de restauration. Je souhaite, pour ma part, évoquer un point de vue à partir de mon expérience avec la Maraude d'Emmaüs Paris-Nord avec laquelle je travaille, en tant que psychosociologue, depuis plus de deux ans dans le cadre d'un dispositif d'analyse des pratiques.

Que se passe t-il pour eux au travail ? Comment peuvent-ils trouver plaisir et sens dans leurs activités ?

Comment peut-on penser aujourd'hui l'organisation du travail d'intervenants sociaux qui sillonnent les trottoirs parisiens pour aller à la rencontre des personnes qui vivent dans la rue ? Dans ce service, ils sont neuf, quatre éducateurs spécialisés, quatre animateurs et une chef de service de formation initiale assistante sociale; ils repèrent et identifient les personnes en situation de très grande exclusion, proposent un accompagnement social, tentent de créer des liens, une relation de confiance. N'est-ce pas vain quand les places dans les centres d'hébergement sont de plus en plus rares et que le service intégré d'accueil et d'orientation fonctionne selon des logiques bureaucratiques et souvent déconnectés de la réalité du travail des maraudeurs ? Comment poursuivre ainsi l'accompagnement de personnes désocialisées, exclues sous l'emprise de pathologies, d'addictions, sans papiers et vivant depuis plusieurs mois dans la rue ?

Pour eux, l'expérience des limites devient incontournable.

Marie-Anne Dujarier définit dans son ouvrage l'idéal au travail « comme possibilité de se représenter les choses et les hommes sans limites ». Lorsque nous sommes dans l'idéal, nous cherchons toujours à dépasser les limites :il faut être toujours plus performant, travailler toujours plus vite avec de plus en plus d'exigences de résultats. Les maraudeurs n'ont pas d'autres possibilités pour continuer leurs activités que d'abandonner cette logique de l'idéal au travail et donc de se fixer des limites. Le risque étant finalement de ne plus rien faire au vu de l'ampleur de la tâche…

Mais comment continuer de se mobiliser et d'agir ensemble ?

En principe, les critères d'évaluation, de contrôle sur ce qui est fait au travail sont donnés par les prescripteurs, ceux qui conçoivent l'organisation du travail. Mais pas seulement, chaque membre de l'équipe a une représentation de ce qu'il faut faire, de comment on peut le faire, chaque professionnel a ses limites et se confronte régulièrement aux logiques et à la subjectivité de son collègue. Prenons un exemple, Anne, 51 ans, vit depuis plusieurs mois dans une cabine téléphonique avec son fils de 26 ans. Souvent lorsque les maraudeurs passent, ils sont recroquevillés tous les deux dans la cabine. Comment établir une relation de confiance pour permettre à cette mère d'évoluer ? Doit-on faire appel à d'autres professionnels du soin psychique pour avoir une écoute plus clinique ? Essaie-t-on de tisser le lien avec le fils ? Intervient-on pour les pousser à sortir de cette cabine ? Est ce le même référent qui va construire le lien avec la mère et avec le fils ?

Se retrouver entre collègues pour se confronter, s'exprimer, mettre en mots ses peurs, ses doutes est certainement un moyen de redonner sens et plaisir à ce travail difficile.

C'est parce que les professionnels de la Maraude continuent de se poser des questions, d'accepter de travailler au cas par cas, de se confronter à l'extrême souffrance de ces personnes voire à la déchéance et la mort que leur travail peut garder un sens et qu'au delà de la difficulté ils peuvent trouver du plaisir à travailler ensemble au sein d'une équipe.


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