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Intervention de Christine Olivier : Journée d'étude Précarité et souffrance


L’accueil et l’accompagnement des personnes en précarité et en souffrance psychique

Journée d’étude du 7 novembre 2014 - Département Seine et Marne Christine Olivier - Expression

Mieux connaître le vécu des personnes en précarité et en souffrance psychique

Chaque situation est singulière car nous sommes tous différents et les personnes que vous accueillez également. C’est pourquoi prendre le temps de l’observation et de l’écoute est fondamental.

Qui est cette personne qui s’adresse à moi, qui franchit la porte d’un établissement, d’un service pour demander de l’aide et comment se présente t- elle, s’expose t - elle au regard de l’autre ?

Comme l’explique Jean Furtos, psychiatre si quelqu’un souffre sans personne en face on ne sait pas qu’il y a de la souffrance.

Je travaille depuis plusieurs années avec des services RSA, des CCAS, des maisons de l’enfance, des CHRS, avec des équipes de la maraude, des chantiers d’insertion et je vais vous livrer quelques vignettes cliniques issues de ma pratique.

  • Une femme vit avec son fils de 26 ans dans une cabine téléphonique. Ils ont aménagé les lieux avec des cartons. Depuis plusieurs mois des professionnels, éducateurs, intervenants sociaux tentent d’établir un lien avec eux, avec la femme c’est plus facile, avec le jeune homme quasiment impossible. La femme lorsqu’elle sort de la cabine et se présente aux éducateurs porte des vêtements propres, elle sait où et comment se laver, entretenir son linge et se nourrir, elle possède des papiers d’identité, elle va régulièrement à la bibliothèque.

  • Un homme se présente dans un pôle social, il sent fortement l’alcool et commence par agresser une femme qui attend tranquillement sur une chaise. L’homme gesticule, s’excite et finit par insulter toutes les personnes qui s’approchent de lui.

  • Une jeune femme se présente à l’accueil du service RSA d’une Mairie. Dès les premiers mots qu’elle adresse à l’agent d’accueil, elle se met à pleurer en silence, les larmes coulent, les mots sont coincés, elles n’arrivent plus à parler.

  • Un homme d’une trentaine d’année rentre dans un pôle d’accueil, il est habillé correctement mais dégage une odeur très forte, difficilement supportable pour la plupart des personnes présentes que ce soit des personnes accueillies et/ou des professionnels

Je vais m’arrêter sur la présentation de ces situations, vous les vivez certainement dans votre quotidien professionnel.

En sachant que certaines fois, il est difficile de repérer ces situations de précarité et de souffrance car les personnes vont tout mettre en œuvre consciemment ou inconsciemment pour les cacher et les professionnels peuvent également consciemment ou inconsciemment ne pas remarquer les signes, les symptômes de ces personnes.

Si j’ai choisi de rappeler par quelques exemples ces situations c’est qu’il me semble important dans notre approche de la souffrance et de la précarité d’oser partir du vécu, de ce qu’on arrive encore à ressentir, à voir, à observer, à analyser en tant que professionnel.

Comment repérer les personnes en souffrance psychique et en grande précarité

En effet, un des mécanismes de défense les plus courant est d’être dans le déni, la dénégation, la fuite, l’évitement face à ces situations dramatiques.

Face à la souffrance, nous essayons tous de nous défendre.

Mais je reviendrai sur la souffrance des professionnels à la fin de cette intervention.

Définir les notions de pauvreté, précarité, exclusion

Je vais donc tenter de vous parler un peu de la précarité sociale et de distinguer les notions de pauvreté, de précarité et d’exclusion qui peuvent être à l’origine de souffrance psychique.

Il y a des pauvres qui ne sont pas précaires et il y a des riches qui le sont. La précarité est en lien avec le sentiment d’insécurité, de peur de perdre, du manque de confiance dans l’avenir mais aussi avec le regard des autres.

La pauvreté c’est le fait d’avoir peu. La pauvreté n’empêche pas la culture et le développement.

La notion de pauvreté change dès que le mépris social s’y attache et s’en mêle, c’est aussi en comparaison avec les autres que nous déterminons qui est riche et qui est pauvre. Il existe bien entendu des seuils de pauvreté définis par la société.

Il existe une précarité ordinaire que nous avons tous vécu et que nous vivons tous à des degrés différents car nous dépendons tous d’autres personnes. Nous ne pouvons vivre seuls. Les relations surgissent en effet à partir de la précarité, le bébé, lorsqu’il nait est dans une situation extrêmement précaire mais si on s’occupe de lui, il va acquérir confiance en lui, confiance en autrui et confiance dans les autres.

Dans la précarité normale vous pouvez encore demander de l’aide dans la précarité pathologique vous ne pouvez même plus demander de l’aide.

Il existe une autre forme de précarité, c’est la précarité en lien avec notre rapport à l’incertitude ou à la certitude,l’homme qui ne sait pas à priori ce qu’il va penser, l’homme qui cherche…Malraux parle de l’homme précaire.

Le troisième type de précarité est en lien avec le capitalisme financier mondial, dans cette logique la question de l’homme, des droits de l’homme n’est plus posée.

Ce qui domine actuellement c’est cette peur de perdre, cette insécurité permanente par rapport à l’avenir. La société précaire est la société qui a l’obsession de la perte.

L’exclusion, c’est le fait de ne plus faire partie d’un groupe, d’une entité, c’est la perte de ce qui fonde l’identité d’un individu. Nous continuons de construire notre identité dans le cadre de nos relations avec les autres. L’exclusion la plus totale c’est de ne plus se sentir être humain, c’est la perte de toute dignité.

Certaines personnes sont dans l’auto-exclusion, par exemple elles vont ne plus rien ressentir, ni leur peau, ni leurs organes, c’est une véritable auto-anesthésie. Pour échapper à la souffrance certaines personnes ne se permettent plus ou ne sont plus capables d’avoir des émotions ni même de penser.

Enfin, je ne peux terminer cette partie sur la précarité sans évoquer la violence qui y est actuellement de plus en plus associée.

  • Violence sociale, car ces personnes se sentent de plus en plus exclues de la société, violence psychologique car les personnes en précarité perdent l’estime d’eux-mêmes, ils peuvent ressentir fortement de la honte et de la culpabilité.

  • Violence physique parfois pour défendre son territoire, que ce soit dans la rue, dans un dortoir, dans une chambre qu’il faut partager à plusieurs, dans un logement exigu et insalubre.

  • Violence face aux conduites addictives et/ou à risques de l’entourage ou de la personne elle-même.

Définir les notions de souffrance

La notion de souffrance est corrélée à la douleur, au fait d’avoir mal. C’est un ressenti subjectif difficilement évaluable.

Le stress lié à une situation dramatique, peut nous empêcher de ressentir la douleur. Comme par exemple face à un incendie, vous pouvez courir pour éviter le danger et ne pas ressentir de blessures que vous ressentirez violemment une fois à l’abri.

Le ressenti de la souffrance est donc aussi en lien avec la situation vécue mais aussi avec notre vécu et nos habitudes y compris culturelles.

Le terme de pathologie n’est pas péjoratif, il désigne ce qui empêche d’aimer, de penser, d’agir, de parler, de se situer dans la suite des générations.

Nous sommes tous différents par rapport aux traumatismes que nous rencontrons dans notre vie. Certains ont des parcours de vie difficiles mais ils arrivent à équilibrer leur vie psychique pour faire face aux événements, d’autres à la suite d’une séparation affective, d’une perte d’emploi, d’un deuil, d’une souffrance physique ne vont plus réussir à faire face et sombrer dans la dépression et/ou des conduites addictives. Un traumatisme de trop les fera sombrer et quelques fois c’est une succession et/ou une addition d’événements chômage, séparation, maladie, deuil.

Les différents moyens de faire face à la souffrance,

Apprenons à tolérer la souffrance que nous éprouvons.

Quand on aide quelqu’un qui souffre le plus dur est de tolérer sa souffrance, c’est d’accepter l’expression de cette souffrance et l’on n’a rien trouvé de mieux actuellement que de parler de cette souffrance à quelqu’un : un collègue, un responsable hiérarchique, Il faut accepter de souffrir mais pas seul. C’est là qu’il devient essentiel de préserver le collectif et le collectif de professionnels.

Cette capacité à faire face à la souffrance de l’autre n’est pas forcément en lien avec les compétences, le statut, le diplôme. J’ai parfois constaté que les agents d’accueil dans les CHRS avaient développé des capacités importantes à faire face à la souffrance que des directeurs, des psychologues et/ou des psychiatres n’avaient pas toujours.

Faire face à la souffrance, c’est pouvoir la reconnaître, l’observer, l’écouter et de pas chercher à s’en défendre systématiquement et/ou à la nier.

Le positionnement des professionnels

Faire preuve d’empathie

Se mettre à la place de l’autre, s’en différencier et apprendre de la relation.

Se mettre à la place de l’autre souffrant c’est reconnaître l’autre dans sa souffrance. C’est accepter dans un cadre l’expression de cette souffrance y compris lorsque cette souffrance nous dérange, nous touche. L’autre différent a le droit d’exprimer dans un cadre, une émotion quelle qu’elle soit, tristesse, colère, agressivité.

Mais le professionnel doit pouvoir recevoir et contenir ces expressions de la souffrance.

Or si les professionnels reçoivent régulièrement du public en grande précarité et en souffrance, ils doivent également pouvoir exprimer eux-mêmes leurs difficultés et leurs souffrances dans des espaces. D’où la nécessité des réunions d’équipes et des espaces d’analyse de pratique et/ou de supervision.

Savoir se différencier, c’est pouvoir prendre de la distance et du recul par rapport au vécu de l’autre. Cela suppose de ne pas chercher à éponger la souffrance de l’autre mais à se recentrer sur soi, cela questionne nos propres capacités d’individuation.

Faire preuve d’empathie c’est aussi chercher à comprendre comment dans la relation à l’autre nous apprenons à mieux nous connaître.

Poser un cadre sécurisant et contenant

Quelles que soient votre fonction, votre rôle, il est nécessaire de s’appuyer sur un cadre et de connaître les limites de l’intervention.

S’il est nécessaire d’accepter l’expression de la souffrance, il est tout aussi nécessaire qu’elle puisse s’exprimer dans un cadre. Il y a des limites au débordement, à la violence.

Les passages à l’acte violents doivent être sanctionnés, c'est-à-dire reconnus. Il ne s’agit pas d’humilier et/ou d’exclure mais de reconnaître quand des limites sont franchies.

C’est parce que le professionnel n’accepte pas d’être maltraité qu’il va aider la personne à ne pas se laisser maltraiter. Or les personnes souffrant de grande précarité ont souvent vécu de la maltraitance. Il est nécessaire parfois de les aider à exprimer leur mécontentement, leur frustration avec des mots.

Entre toute puissance et impuissance

Etre en lien avec des personnes en souffrance nous oblige à repenser notre rapport au pouvoir.

L’idée est de mettre en place les conditions pour que la personne puisse évoluer dans son parcours de vie mais nous ne pouvons pas tout faire à sa place.

Certaines fois, je suis frappée par la résignation des professionnels : de toute manière nous ne pouvons plus rien faire….

Tant qu’il est encore possible de recevoir en entretien et d’écouter une personne alors nous sommes dans le lien et donc dans une forme d’insertion.

Par ailleurs, nous ne sommes pas toujours capables d’évaluer les effets de nos interventions. Quelques fois nous allons évaluer positivement une intervention parce que la personne a décroché un CDD ou entre dans un dispositif de formation alors que quinze jours plus tard elle mettra tout en échec. Et nous n’allons pas percevoir les progrès d’une autre personne car ces progrès ne peuvent pas être explicités dans les critères énoncés par l’institution et ne se traduisent pas par un emploi, une formation, l’accès à un logement.

L’évaluation des actions quand nous travaillons avec des personnes en précarité et en souffrance psychique est extrêmement complexe.

Savoir orienter vers des partenaires, puis travailler en complémentarité

Aujourd’hui il est fondamental de reconnaître la nécessité de travailler l’approche globale de la personne en situation de grande précarité. Ainsi, il ne suffit pas de ne penser qu’au logement, ou à l’aide financière, à l’accès à l’emploi ou à la formation, ou au soin psychique, il est nécessaire d’avoir une alliance thérapeutique, que tous les partenaires travaillent en complémentarité et dans le même sens. D’où la nécessité d’organiser le partenariat et d’élaborer autour des situations des personnes pour que les actions se complètent sans s’annuler.

Des réunions, des groupes d’analyse de pratique et/ou de supervision

Faire face à la souffrance psychique des publics accueillis c’est aussi faire face à la souffrance des professionnels.

Les professionnels ne sont pas toujours préparés et formés pour faire face à la souffrance ;

Il faut qu’eux-mêmes puissent exprimer leurs difficultés, leurs ressentis, leurs sentiments d’échec, d’usure professionnelle mais aussi d’incompréhensions face aux nouvelles situations qu’ils rencontrent et/ou vivent au quotidien.

L’institution doit pouvoir soutenir et reconnaître les professionnels notamment à travers la mise en place de réunions, d’un management qui valorise et soutient.

Enfin, il est parfois nécessaire de mettre en place des groupes d’analyse de pratiques et/ ou de supervision pour permettre aux professionnels de prendre du recul, de réfléchir et d’élaborer autour de vécus difficiles.

Je fais l’hypothèse que si les professionnels et les partenaires travaillent ensemble et trouvent leur place dans un collectif alors ils pourront plus facilement aider les personnes en précarité et en souffrance psychique à trouver une place, leur place dans la société.


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