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Le corps dans la relation professionnelle : De quoi parle-t-on ?


Le corps dans la relation professionnelle

Dans l'Antiquité, Tite-Live soulignait déjà l'importance des gestes, qui soutenaient « naturellement » le discours. Le comportement non verbal (geste, regard, expression du visage, proxémie, éloignement, toucher, etc.) est, consciemment ou non, un message pour son interlocuteur. Il peut souligner le discours verbal ou dire autre chose. Le corps parle à la personne de ses disfonctionnements, de ses jouissances et, en retour, celle-ci lui parle du monde extérieur, de l'environnement ambiant, des normes, des valeurs sociales… Le corps est pourtant souvent oublié dans l'activité professionnelle quotidienne. C'est bien souvent lui qui se rappelle à soi et à son insu. Observons. J'anime une formation auprès de conseillers et conseillères de Missions locales. L'une d'elles raconte : elle est chargée de suivre les jeunes intégrant le dispositif « Garantie Jeunes », et dans ce cadre accompagne un jeune homme, sorti du système scolaire, en déshérence. Je l'écoute, assise, le dos appuyé sur le dossier de ma chaise. Puis, au fur et à mesure de son récit, mon buste se penche vers l'avant, je me lève, m'avance vers elle. Je prends conscience alors que j'ai quitté ma place habituelle : se passerait-il quelque chose de singulier ? Considérons que les gestes, les expressions, les mouvements du corps sont les expressions physiques de processus psychiques sous-jacents, plus particulièrement des émotions. Celles-ci sont accompagnées de modifications physiologiques, modifications issues des interactions entre l'environnement, autrui et moi. Poursuivons l'exemple ci-dessus. Mon comportement provient-il d'une colère envers l'institution qui laisse cette professionnelle seule pour gérer le dispositif ? D'une compassion pour cette femme dont le mal-être me semble évident ? Ces émotions m'invitent-elle alors à me rapprocher d'elle pour la protéger ? La réconforter ? Ce mouvement de rapprochement m'empêche de voir les autres participants à la formation : que se passe-t-il pour eux ? Sont-ils comme moi en colère ou dans la compassion ? Eprouvent-ils du plaisir à l'écoute des difficultés de leur pair ? Comment vivent-ils mon corps qui fait barrage entre eux et la conseillère ? Se sentent-ils exclus de la relation que crée mon comportement ? J'observe alors que je suis trop près et je ne vois plus rien. Bref, mon corps soudain m'embarrasse, parce qu'il apparaît bruyamment à moi et aux autres. Le corps se rappelle à nous dans un mouvement, un regard, que l'on regrette parfois aussitôt fait. On voudrait disparaître, s'effacer, sans doute parce que le corps interfère dans le message que l'on souhaite transmettre. Message que l'on souhaiterait tant qu'il réponde à un idéal professionnel, social. Il a été longtemps dit que ce langage non verbal était inné et ne pouvait mentir. Ainsi, si une personne évite votre regard, transpire ou a les mains moites, elle ment. Une série télévisée « lie to lie » (un détective enquête et trouve le coupable d'un acte répréhensible grâce à son analyse du langage non verbal de la personne soupçonnée) base ses récits sur cette théorie du langage non verbal. Or de nombreuses expériences, observations, montrent que le menteur peut vous regarder dans les yeux, ne pas transpirer, garder les mains sèches… Par ailleurs, un même geste peut avoir différentes significations au regard de l'environnement dans lequel il prend place, de la personne qui l'émet et de son ou ses interlocuteurs. Mes mains moites sont-elles la partie émergée de mon message ? Ma respiration qui s'accélère, mon cœur qui bat plus vite, mon sourire, sont-ils des messages corporels qui me sont destinés ? Comment me font-ils réagir ? Ces manifestations corporelles viennent de loin : elles ont pour origine mon histoire personnelle, familiale, mon éducation, ma culture, mes valeurs. Prolongeons notre réflexion. Ma colère et ma compassion proviennent-elles d'un sentiment d'abandon de mon histoire individuelle ? Ainsi cette femme, pour moi isolée dans cette situation, me ramène-t-elle à des schémas personnels ? Les participants se sentent-ils coupables de ne pas pouvoir aider leur collègue ? Ont-ils honte du plaisir éprouvé ? Il y a là quelque chose de si intime qu'on le cache, voire l'interdit. Et son corps, ce qu'il dit, ce qu'il agit, devient tabou. Le corps, médiateur de sa mémoire au travers de ses manifestations : est-cela qui rend si difficile son écoute ? Nous vous proposons dans la cadre de la formation sur le corps dans la relation professionnelle, non pas un espace thérapeutique mais de prendre conscience du langage de notre corps dans le travail : le corps a quelque chose à dire de la relation professionnelle. Pourquoi ne pas le transformer en innovant dans sa pratique d'accompagnement, d'encadrement… ? Pourquoi ne pas interroger le groupe sur mon corps en mouvement ? Sur leur corps en situation professionnelle ?


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