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Renforcer le pouvoir de penser et d’agir des managers dans la transformation


Le Co-développement des pratiques professionnelles

au service du management inclusif

Lors du Salon du Management des 13 et 14 novembre 2018 à Paris, une cinquantaine de personnes ont participé à la conférence organisée par Expression. L’occasion pour eux de découvrir une approche singulière pour accompagner les managers dans la transformation.

Cette conférence s’inscrivait déjà dans le thème de réflexion que nous proposons en 2019 : « faire société autrement ».

« Le titre de cette conférence peut sembler long et complexe… Nous le revendiquons, car la complexité fait partie du quotidien du manager dans la transformation. Nous exprimons ainsi la congruence - la cohérence entre les pensées, les paroles et les actes -, une des valeurs essentielles d’Expression. Ainsi, nous vous proposons de penser ensemble dans un temps court des choses complexes », annonce en préambule Christine Olivier, directrice d’Expression, l’organisme de formation et d’intervention psychosociologique qu’elle a créé il y trente ans.

Les participants sont alors invités à participer à un sociogramme, un exercice qui permet de commencer à se connaître au sein d’un groupe. Chacun se lève ou reste assis, en fonction de sa réponse à une quinzaine de questions plus ou moins impliquantes, par exemple :

  • « Qui a besoin d’une sieste ? »

  • « Qui encadre une équipe d’au moins 10 personnes ? »

  • « Qui a parfois le sentiment que son travail n’a plus de sens ? », 4 ou 5 personnes se lèvent en réponse à cette question.

  • « Qui s’est déjà senti discriminé dans son travail ? », une demi-douzaine de femmes se lève…

  • « Le rôle principal d’un manager est-il de : Protéger, contrôler ou développer ?

100% des personnes présentes choisissent la troisième proposition…

Christine Olivier questionne alors chacun sur son vécu du sociogramme :

« Comment vous sentez-vous lorsque vous êtes seul à vous lever ? Avez-vous l’impression de rester « politiquement correct » sur certaines questions ? »

Sur le rôle du manager par exemple, on peut s’étonner que tout le monde ait répondu de la même façon. Il s’agit de questionner la manière dont chacun ose se positionner – ou pas –au risque d’affirmer sa différence.

En réponse à une participante interrogeant le sens du sociogramme et son utilité en entreprise, Christine Olivier explique qu’il permet rapidement à un groupe de créer du lien et de commencer à se connaître en un temps restreint. « Qu’il s’agisse de Co-développement, de management inclusif ou d’autres dispositifs, il est important de savoir avec qui l’on travaille et de construire l’énergie du groupe. Nous revendiquons l’éloge du désaccord et du conflit prôné par Yves Clot, enseignant-chercheur au CNAM. Nous avons choisi cet outil pour vous faire participer et aussi pour vous confronter ».

La question de l’engagement et de l’implication se pose notamment dans les groupes de Co-développement : comment ose-t-on s’exposer et s’impliquer aujourd’hui dans l’entreprise, traiter des situations complexes avec des collègues ou des pairs ? »

« Cela fait trente ans que j’interviens dans des situations parfois très complexes, avec parfois de la violence dans les propos entre participants, poursuit Christine Olivier. Dans le Co-développement des pratiques managériales, je parle de "bienveillance impitoyable". En effet, les managers sont souvent confrontés à des situations conflictuelles, et il est important qu’ils sachent se positionner et exprimer leur désaccord. Je partage avec eux, que la bienveillance est très difficile à exercer, parfois moi-même, je juge, je ne suis ni bienveillante, ni politiquement correcte. Cela met les personnes et le groupe au travail. Dans les groupes de Co-développement, si l’on prend trop de recul, on risque de ne pas apporter de situations très intéressantes ou impliquantes, et de passer à côté des vrais problèmes. Toutefois, dans certains contextes, on ne peut pas demander aux participants des groupes de trop s’exposer. Lors de chaque intervention, nous cherchons donc à nous adapter, à nous confronter à la réalité et à la complexité du vécu des managers, en pratiquant la politique des petits pas ».

Vous avez dit situations complexes ? reprend Laetitia Ricci, psychosociologue, accompagnante de la transformation des organisations et des territoires. Elle rappelle que : « Freud classait le métier de manager dans les trois métiers impossibles, avec celui de soigner et d’éduquer. Métiers dans lesquels on peut être certain d’un succès insuffisant…». Puis elle ose la question récurrente de ce salon :

« Au fait, un manager ça sert à quoi ? »

Dans un contexte de transformation des organisations, « la médiation des contraintes organisationnelles » nous paraît être une définition pertinente du rôle des managers. Ou, en d’autres termes, comment se situer entre le marteau et l’enclume ? « Au cours de plus de vingt ans d’expérience professionnelle au sein d’un grand groupe industriel, j’ai acquis la conviction que si souvent le « pourquoi » vient d’en haut, le « comment » - mettre en place la transformation – ne peut s’inventer qu’à partir de la réalité du terrain. Les managers de proximité sont, ainsi, la clé de voute de la transformation, à la fois particulièrement vulnérables et totalement indispensables. Dans nos dispositifs, nous cherchons pour cette raison à renforcer leur pouvoir d’agir. C’est-à-dire leur capacité à affecter leur environnement de travail, à développer de nouveaux outils, instruments et postures. Ils ne peuvent plus se contenter d’appliquer des orientations venues d’en haut».

Comment renforcer leur pouvoir d’agir ?

La matière première, ce sont les contradictions elles-mêmes. Cela commence au niveau individuel : chacun peut travailler sur ses propres ambivalences, voire sur les conflits internes que ces orientations génèrent. Afin de mieux accompagner le niveau collectif, au sein des équipes.

Le dispositif de Co-développement fixe un cadre précis, donne un espace de parole sécurisant, pour affronter et confronter ces différents points de vue. « Les intervenants d’Expression ne se positionnent pas en tant qu’experts de cette méthode, mais plutôt en tant qu’experts de l’humain, de la personne et des groupes au sein d’une institution. Pour nous, ce qui est important, c’est d’accueillir ce qui se passe dans le groupe.» précise Laetitia Ricci. Comment laisser la place au conflit et à la contradiction, permettre à chacun d’affirmer sa singularité ? Il s’agit de favoriser la richesse du collectif, de fertiliser la diversité, c’est d’emblée s’intéresser au management inclusif.

Le management inclusif prend en compte la singularité de chacun

« L’inclusion fait référence à la capacité d’une organisation ou d’une équipe à prendre en compte la singularité dans un cadre collectif, à travailler le sentiment d’appartenance autant que la prise en compte des identités et des besoins particuliers. Un objectif noble et ambitieux, dont l’application en pratique est loin d’être simple », constate Mourad Hakmi. En tant qu’anthropologue, il s’est d’abord intéressé à l’approche interculturelle, dans laquelle on retrouve certains principes de l’inclusion.

L'approche de la diversité dans l'entreprise se limite souvent au développement d'une connaissance générale sur les habitudes et codes culturels des autres pour mieux travailler ensemble. Dans cette perspective, on s'intéressera aux pratiques des Chinois ou des Maghrébins… S'il est bien sûr important de prendre en compte les cadres de référence des uns et des autres pour mieux se comprendre, ce type de démarche a cependant tendance à figer les cultures et à les stéréotyper, à limiter la prise en compte de la personne, qui ne se réduit jamais à sa ou ses cultures d’appartenance. « Je me souviens de cet homme algérien qui avait quitté son pays d’origine parce qu’il en avait assez des Algériens, de ce pays et de sa culture. Tout le monde le renvoyait à cette identité, alors que lui-même se définissait autrement, raconte Mourad Hakmi. L’inclusion, c’est éviter de coller sur une personne une étiquette qui ne lui correspond pas, mais plutôt prendre en compte sa particularité, son parcours et son identité au sens large ».

Du management de la diversité au management inclusif

Le management de la diversité s'est développé en France suite à la loi de 2001 relative à la lutte contre les discriminations. S'appuyant sur la prise en considération des particularités et des minorités dans le cadre de l'entreprise, il vise à favoriser l'investissement et la satisfaction au travail, et à limiter le turnover. Il répond également à un enjeu d'image et de responsabilité sociétale pour les organisations s'y référant.

La limite de ce type d'approche a cependant été pointée du doigt par des analystes et des managers. Elle présente en effet le risque de renforcer les catégorisations stéréotypées et par là même les discriminations, allant dès-lors à l’encontre de son objectif initial. Par ailleurs, la diversité fait référence à des minorités et n’inclut donc pas tout le monde : la catégorie de l’homme blanc de 30 à 50 ans, qui représente implicitement la norme, en est par définition exclue.

Le Management inclusif, en revanche, présente l'intérêt de prendre en compte chacun. Il remet en question les catégories avec lesquelles on a l’habitude de travailler, il les nuance, ce qui favorise le développement de la réflexivité, à savoir la capacité à réfléchir sur les catégories que l'on emploie, la façon de penser. Cette réflexivité est considérée comme une des « compétences douces » qu'aujourd’hui les entreprises valorisent.

Faire silence pour penser

« Je voulais terminer sur un outil qui me paraît très important, le silence. Pour prendre le temps de penser, il faut parfois faire un peu de vide, estime Christine Olivier, qui propose de remplacer la traditionnelle séance de questions-réponses par trois minutes de silence. « Une minute pour vous recentrer, puis deux minutes consacrées à la question de la régulation : comment avez-vous vécu cette séance, que s’est-il passé pour vous, que retenez-vous de cette expérience ? Lors de leurs interventions, les consultants d’Expression prennent toujours ce temps de régulation pour laisser s’exprimer les ressentis à haute voix au sein du groupe. Aujourd’hui notre pari est de vous le faire expérimenter chacun à l’intérieur de vous-même. Merci de votre participation ! »

Isabelle Gonse - Journaliste, formatrice intervenant pour Expression.

Intervenants :

Laetitia Ricci, intervenante indépendante pour Expression, psychosociologue, accompagnante de la transformation des organisations et des territoires.

Mourad Hakmi, salarié d’Expression, chargé des projets relatifs à l’approche interculturelle, l’égalité et la lutte contre les discriminations, la laïcité et l’égalité Femme – Homme.

Christine Olivier, directrice d’Expression, psychosociologue intervenante.


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