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Le co-développement des pratiques : un moyen de mieux travailler ensemble pour faire société autreme


S'engager à faire autrement en se formant à la conduite de groupe de co-développement

Avant l'été, nous vous avons proposé, dans le cadre des lettres d'info d'Expression, quelques titres de livres, les moments de vacances sont propices à la détente, mais aussi à la lecture… Je n'avais pas encore lu celui de Mireille Cifali « S'engager pour accompagner ». J'ai eu envie de m'y plonger, de m'en inspirer pour enrichir ma vision du co-développement des pratiques. Je vais, en effet, animer plusieurs groupes de formation pour permettre à des formateurs, consultants, psychologues, coachs, thérapeutes, managers, de conduire eux-mêmes ce type de groupes. Il s'agit avant tout de parvenir à créer un climat qui va faciliter la prise de parole sur une expérience vécue, une pratique qu'une personne accepte de dévoiler au reste du groupe. Dans ce type de groupe, chacun peut apprendre à la fois de ce qui se passe dans le groupe mais aussi des actions, comportements, émotions, ressentis, difficultés et réussites des autres. Pour l'intervenant, comment amener un groupe à oser exprimer une pratique ? Comment choisir qui va se lancer dans la narration de cette pratique? Interroger, observer comment chacun prend ou pas la parole et avec quelle voix.

Mireille Cifali nous rappelle que c'est par la voix que se dit l'émotion, que se marque le sentiment éprouvé dans l'instant même de la parole prononcée. Comment l'intervenant qui anime le groupe utilise sa voix, sa respiration, le silence ? Comment à travers les différentes voix qui vont s'entremêler va-t-il tirer un fil, un fil conducteur, pour que chacun puisse affirmer la singularité, la musicalité de sa voix dans l'intérêt du travail collectif ? Ma conception du co-développement des pratiques, même si j'invite le groupe à respecter une méthodologie spécifique pour travailler, est traversée par l'observation et la conscience de ce qui se joue dans le groupe : climat, rythme, énergie, confrontation, excitation, ennui, intensité du silence, respiration. Lorsque je conduis un groupe de co-développement des pratiques, je suis ouverte à tout ce qui peut se passer et je tente de prendre du recul par rapport à un savoir d'expert qui rassure. Travailler la pratique professionnelle de celui qui en est l'auteur exige du tact, de la patience, une certaine présence, de l'humilité, de l'authenticité. En reprenant les termes de Michel Foucault il s'agit de l'intelligence de l'instant : flair, sagacité, sensibilité.

Comment s'entrainer à développer cette intelligence de l'instant propre à l'approche clinique ? Peut-être, comme le propose Mireille Cifali en acceptant l'incertitude inhérente à l'action, en développant une capacité de jeu avec l'imprévu, en réhabilitant l'inventivité qui fait rupture avec nos savoirs. Dans un groupe de co-développement des pratiques, chacun va construire à partir de la parole de l'autre, pas seulement en l'écoutant mais en pouvant s'y confronter, en créant du lien, en s'identifiant, en projetant, parfois en jugeant avec conscience. Alors le travail de celui qui conduit le groupe est proche de celui de l'artiste. Ce n'est pas un travail de technocrate qui cherche à tout rendre lisse et objectivable mais c'est le travail de la subjectivité dans la tension entre un dedans et un dehors pour engendrer, se tenir au plus près du vivant, travail vivant qui produit des effets sur un autre comme sur nous-mêmes. Pour celui qui conduit le groupe et agit c'est aussi se confronter à sa solitude, son implication, son éthique.

Cette année, en conduisant des groupes de formation, de co-développement des pratiques, d'analyse de pratiques, de supervision j'ai éprouvé, quelquefois, une émotion de beauté souvent parce qu'une personne avait trouvé l'espace pour livrer avec sa pratique, ses sentiments, son humanité, son impuissance, sa fragilité, sa tristesse, sa vulnérabilité mais aussi sa joie. En cette période de rentrée, j'ai très envie que ces moments se renouvellent et que les personnes qui vont se lancer dans l'animation de ce type de groupes puissent vivre, elles-aussi, ces émotions de beauté.

Pour moi, s'engager pour accompagner, c'est aussi reconnaitre, donner une place, accueillir, exprimer faire vivre ses ressentis, ses émotions, sa subjectivité, sa créativité.

Christine OLIVIER, psychosociologue, directrice d'Expression.


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