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Plaisir et sens au travail


Les expressions argotiques servant à désigner le travail sont souvent connotées négativement : le turbin, le taf, le boulot, le gagne-pain, le trimard, la bricole, le bûchage ou le charbon soulignent plutôt la nécessité ou la pénibilité du métier que l'utilité sociale ou la réalisation de soi. Il devient désormais banal de rappeler l'étymologie du terme, tripalium, instrument de torture, mais force est de constater que les chansons portant sur le travail évoquent davantage le gras du labeur que les joies du métier. Ethnologue de formation, je me souviens encore des rêveries primitivistes qui m'animaient lorsque nous étudiions les économies des chasseurs-cueilleurs, sociétés de l'abondance ou de la frugalité assumée qui me semblaient avoir inventé « le droit à la paresse » quelques millénaires avant Lafargue… Les formations que nous proposons, quelles qu'en soient la thématique ou le contenu particulier, la centration disciplinaire ou institutionnelle, correspondent aussi à des espaces d'expression des émotions au travail, de questionnements sur le sens des métiers, d'analyse des difficultés et des contradictions ressenties par les professionnel(le)s auprès de qui nous intervenons. Il est fréquent que des participant-es se mettent en colère, confient des sentiments de malaise, de lassitude, de désabusement, d'épuisement au travail. Dans les appels d'offre de formation ou d'intervention, la description de la demande est fréquemment énoncée en termes de difficultés et de problématiques qu'il s'agirait de résoudre par une intervention adaptée. Enfin, il est intéressant de noter que lorsque les intervenant-es d'Expression se réunissent en analyse des pratiques, c'est systématiquement à partir de tracas, de malaises et de difficultés que nous essayons de délier nos nœuds professionnels et de partager des ficelles du métier. C'est lors d'une discussion entre collègues sur ces « négativités de départ » que nous nous sommes interrogés sur les intitulés des appels d'offre et des formations que nous animons : dans quelle mesure certains retournements sémantiques ne nous permettraient pas également d'imaginer d'autres stratégies pédagogiques ? « Lutter contre les discriminations », c'est aussi construire de la justice sociale et institutionnelle, « accompagner les conduites à risque », c'est aussi instituer des pratiques protectrices, « gérer le stress » c'est aussi aménager du confort au travail, « prévenir les conflits » c'est aussi reconnaître et apprécier les désaccords. Et si nous proposions des formations intitulées « plaisir et sens au travail » ? Si nous abordions les professionnels par leurs chefs d'œuvre, par un partage des sentiments du travail bien fait, par des anecdotes qui construisent la vocation, sur la place du rire, de la solidarité professionnelle, sur l'attachement aux valeurs d'un métier , sur ces petits bonheurs qui confèrent sens et dignité à nos turbins ? C'est dans ce sens que nous avons décidé de construire et d'expérimenter une offre de formation résultant de ce retournement sémantique. Ainsi, si ce projet voit le jour et qu'il intéresse des professionnel(le)s, peut-être oserais-je leur demander, pour conclure une journée de formation : « Vous-êtes vous bien amusés ? »

Briac CHAUVEL, Anthropologue-Intervenant, Expression


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