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Sur un air désaccordé


Il est 15h45 lorsque deux participants à la formation sur 'La place de l'argent dans l'accompagnement', travaillant dans des structures d'insertion, commencent à rentrer en désaccord.

  • Sylvie : « Je ne peux pas croire ce que j'entends. Si un jeune 'dépense mal son argent' d'après toi, tu peux aller jusqu'à demander qu'on lui supprime son allocation ? Mais tu te prends pour qui ?! »

  • Yves : « Ah bah c'est sûr qu'avec toi l'argent à l'air de couler à flot, tu crois que c'est le tien ou quoi ?! T'as oublié les restrictions ? »

  • La formatrice (en son for intérieur) : « Bon, bon, bon, il est 15h45 c'est bien ça ? Une pause s'impose dirait-on. C'est pile poil le bon moment, parce que sinon, je ne sais pas où ça va mener cet échange… »

  • La formatrice (à haute voix, d'un air gêné) : « Euh, nous faisons une pause, et nous reprendrons ensuite sur de la théorie, d'accord ?»

  • Elle remercie en elle-même le moment où a éclaté le conflit, elle a ainsi pu le stopper en invoquant la raison de la pause. « Ca va les détendre se dit-elle, ils vont aller prendre l'air, regarder leur portable, fumer et ainsi se changer les idées. Et puis à la reprise, on parlera de tout autre chose. Ouf, il était moins une ! »

Et si on repensait le scénario ? Si on partait du principe que l'émergence de désaccords en formation est loin d'être un piège, voire un échec, mais plutôt une source de réflexion, voire de transformation et d'enrichissement ?

Tentons pour voir :

  • La formatrice : « Sylvie, est-ce que vous êtes d'accord pour nous partager ce que ça vous fait d'entendre les propos d'Yves ? D'après vous, pour quelle(s) raison(s) êtes-vous, à priori, en désaccord ? » »

(Réponse de Sylvie)

  • La formatrice : « Et vous Yves, quels sont les éléments qui vous font fortement réagir ? »

(Propos de Yves)

  • La formatrice : « Sylvie, pouvez-vous reformuler ce que Yves vient de dire ? Que pensez-vous de son point de vue ? » …

Et si le formateur tentait de faire expliciter ce qui est pensé, d'accompagner ce qui est ressenti là, d'accorder du temps pour écouter le positionnement de l'autre, plutôt que de chercher à tout prix à éviter que la conflictualité ne s'invite dans sa formation ?

Il est vrai, c'est parfois bien plus confortable lorsque tous les membres du groupe sont d'accord ou semblent l'être. Quelle place accordée à l'expression des désaccords en formation ?

  • Entre les objectifs de formation et pédagogiques ? Plus de place.

  • Entre la séquence 3 et la séquence 4 ? Ah non dommage, nous avons déjà pris trop de temps en séquence 3, ce qui nous met très en retard pour la séquence 4.

  • En rétrécissant la pause ? Ah, ça non et puis quoi encore ?!

La controverse peut représenter un moyen pédagogique pour favoriser l'implication, la co-construction et, au final, l'apprentissage. Le psychologue Jean Piaget ne parle-t-il pas de 'conflit socio-cognitif', en pointant l'importance des interactions dans le développement cognitif ? Le terme conflit est à envisager ici comme une occasion de confrontation pour progresser, développer ses idées. Au pire, les personnes ne changent pas de point de vue. Est-grave ? Est-ce une défaite ? Est-ce obligatoire en formation ?

Bien sûr, il s'agirait de désaccords un tant soi peu accordés. Le formateur devient chef d'orchestre, il insuffle un air méthodique, cadrant, bienveillant.

Sortez vos opinions, expériences, représentations chers apprenants, et chers formateurs, pourquoi ne pas essayer d'offrir un cadre qui laisse place aux idées des autres, même différentes ? De toutes façons, bien sûr que nous ne pouvons pas tous être d'accord, et puis, ça tombe bien, ce n'est pas le but.

Alors, on la compose cette mélodie des divergences ?

Delphine Barbera, Intervenante-Consultante, Expression


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