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Tierno aime être bien maquillé, mais pas son père…


Tierno a cinq ans et il aime être bien maquillé. Il ne se pose pas trente six questions. Quand il en a envie, quand des enfants s'y mettent, au centre de loisirs, quand c'est jour de fête, quand quelqu'un.e sort un stand maquillage, Tierno se pointe et demande tout simplement qu'on le maquille aussi. Les animatrices et les filles qui sont au stand tentent bien de lui proposer un masque de Lion, de Pirate ou de Superman, mais pour lui, c'est non merci, il préfère un joli maquillage, comme font les filles, avec de la poudre à joues, du crayon à cils et du bâton de couleur à lèvres. Ça ricane autour de lui mais on n'a vraiment pas l'impression qu'il s'en rende compte, il garde un air de « bah quoi ? » qui lui sied à ravir. Comme il n'y a pas de problème, il ne voit pas le problème. Amanda, la directrice du centre aéré se gratte un peu la tête avec ce petit bonhomme, même si pour elle, il n'y a pas de problème, oh ça non, pas du tout.

C'est que l'autre jour, lorsque le père de Tierno est venu le chercher, et qu'il l'a vu comme ça, il y a eu un problème. Le père de Tierno ne s'est pas contenté de faire une drôle de tête, il a demandé à la voir. Et il lui a demandé que cela cesse, qu'il ne voulait pas que son fils se maquille comme ça. Et elle n'a pas trop su quoi faire. Elle s'est dit que Tierno avait le droit de se maquiller ainsi au centre de loisirs mais elle n'a pas osé le dire à son père. Son père avait déjà fait une réflexion lorsque qu'il avait vu Tierno en train de jouer à la poupée avec une ribambelle de filles. Amanda se dit que la réaction du père de Tierno, c'est culturel. Je lui demande si elle pense qu'elle aurait réagi de la même manière si Tierno s'appelait Quentin, par exemple. Elle a l'honnêteté de dire qu'elle pense que non. Je lui demande alors, et si le père de Quentin avait eu la même réaction, est-ce qu'elle aurait pensé que c'était culturel ? Elle a l'honnêteté de dire qu'elle pense que non.

C'est à mon tour d'être honnête et de lui dire que le gamin s'appelle Tierno ou Quentin, c'est toujours compliqué, ces histoires là. Et peut-être que pour le père de Tierno, elle est partagée entre un désir de respect des normes éducatives du père et un désir de respect des envies de l'enfant. Je lui demande alors comment elle et son équipe se débrouillent avec ce dilemme là. Amanda me dit qu'elle a coupé la poire en deux. Elle s'arrange avec l'équipe pour que les temps maquillage et jeux de poupées se déroulent en dehors des temps d'accueil du matin et de l'après midi, afin que les parents n'y assistent pas. Les anims maquillent les enfants comme bon leur semble et les démaquillent avant l'arrivée des parents, en mode ni vu ni connu. Pareil pour les poupées, il suffit de planifier d'autres activités, moins marquées par le genre, le matin et en fin d'après midi. Qui veut jouer aux poupées y joue à d'autres moments. Amanda me demande ce que j'en pense. Je ne sais pas trop quoi en dire. J'ai tendance à penser que sa stratégie me semble plutôt juste et plutôt sage, comme elle, j'hésite, et contrairement à elle, je n'ai pas vu la réaction du papa de Tierno et je ne travaille pas dans ce centre de loisirs là. J'essaie de m'en tirer en lui disant qu'il s'agit là, de mon point de vue, d'un accommodement raisonnable qui me semble équilibré, entre liberté de l'enfant et reconnaissance de l'altérité, entre justice institutionnelle et respect des normes éducatives parentales, qui laisse à Tierno le temps de construire son petit bonhomme de chemin, qu'il se frayera comme bon lui semble. Je lui propose, si elle le sent, d'essayer un jour, si le contexte s'y prête, d'en rediscuter tranquillement avec le père de Tierno. Elle me répond d'un pourquoi pas…

Et vous, qu'en pensez-vous ?

Briac Chauvel, anthropologue, intervenant à Expression


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