De l’utilité de l’APP en institution psychiatrique
- Expression
- 26 févr.
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Je vous écris depuis l’hôpital psychiatrique public où je travaille en tant que psychologue clinicienne, plus précisément au sein d’un Centre Médico-Psychologique. Celui-ci appartient à ce qu’on nomme le « service extra-hospitalier », qui garantit la continuité avec le service hospitalier, accueillant les patient.e.s hospitalisé.e.s en psychiatrie sur des périodes de durée variable.
Comme le dit l’adage de François Tosquelles1, l’un des chefs de file du mouvement de la psychothérapie institutionnelle, l’institution psychiatrique, pour assurer un accueil digne de ce nom, a constamment besoin d’être soignée. Aujourd'hui, plus que jamais, la psychiatrie publique est confrontée à une situation dramatique. Malgré l'engagement des soignant.e.s, des coupes budgétaires importantes sont effectuées depuis des années, ayant pour conséquence la fermeture de lits et un manque chronique de moyens.
L’accueil des patient.e.s en psychiatrie implique de travailler avec les mécanismes spécifiques à la psychose, comme le clivage et le déni de la réalité : ces mécanismes défensifs permettent de maintenir le contact avec la réalité d’une partie du Moi pendant que l’autre partie, clivée, en reste détachée. Les équipes peuvent ainsi être amenées à recevoir des paroles très contradictoires, clivantes, de la part de patient.e.s, ce qui peut produire des dynamiques transférentielles très différentes en fonction des liens et des affects en jeu pour chacun.e. Cela peut se traduire par de la conflictualité, par des interprétations contradictoires des évènements et des décisions concernant les patient.e.s, qui vont justement « cliver » l’équipe.
En psychiatrie, les équipes multidisciplinaires (médecins, éducateurs.ices, psychologues, infirmier.e.s, assistant.e.s sociales, secrétaires etc.) sont traversées également par des rapports de domination - de classe, race, genre -, ce qui implique à son tour différents relations à la hiérarchie. De plus, l’équipe doit composer avec diverses manières de faire et de penser, avec les différences générationnelles, sans compter les injonctions des tutelles (chefferie, direction, administrations, etc) qui peuvent produire des tensions et de la souffrance.
L’analyse des pratiques est, depuis les groupes Balint (1957), un dispositif qui permet de créer un espace intermédiaire où travailler les dynamiques groupales et les différentes situations cliniques ou institutionnelles qui mettent en difficulté les membres de l’équipe, depuis leur place, statut et singularité.
L’espace de l’analyse des pratiques, l’écoute du sujet et du groupe par un tiers - l’ intervenant.e - permet de travailler ces dynamiques négatives et éventuellement introduire de la liaison contre la deliaison engendrée par la psychose, qui peut impliquer des formes de passivation, de sidération, ou encore empêcher de penser la conflictualité existante au sein de l’équipe. Ce dispositif peut également contribuer à faire émerger les fragilités en lien avec la place que l’on occupe en institution, et ainsi aider à se déprendre, ou encore, permettre de comprendre comment la souffrance psychique du patient peut mettre à mal l’équipe ainsi que l’institution.
L’introduction d’une parole tierce peut en effet aider à mobiliser une certaine créativité et associativité : chacun.e, à partir de sa place, et depuis sa différence, peut penser les situations cliniques ou bien les impasses et la violence de l’institution. Car, et cela est un autre pari de la psychothérapie institutionnelle, la fonction soignante traverse toute l’équipe indépendamment des rôles et de la hiérarchie instituée.
Afin que les équipes puissent remplir leur fonction de lien et d’accueil du sujet au sein de l’institution, espace d’arrimage dans une société excluante qui stigmatise le trouble psychique notamment dans ses manifestations le plus aiguës, ce travail de resignification et de liaison est donc plus que jamais nécessaire.
Julia Chierichetti, psychologue clinicienne

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