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Pourquoi diantre est-ce si difficile d'écrire ses pratiques professionnelles ?


Pas le temps, pas prévu dans mes missions, dans mes horaires de travail… Cet apparent obstacle à écrire ses pratiques professionnelles de formation ou d'intervention est-il le reflet d'une réelle résistance à passer à l'écrit ? Cela signifie-t-il qu'écrire ses pratiques professionnelles est davantage qu'une description de ses activités et est perçu comme une écriture de soi dans son environnement de travail ? Je peux, par exemple, décrire chronologiquement le passage d'une intervention dans un dispositif d'analyses des pratiques : je propose de faire un retour sur la situation abordée la séance précédente, le participant en question se remémore ce qui s'est passé depuis ; il peut évoquer être toujours en difficulté avec son équipe et le groupe, dont je fais partie, écoute, questionne l'histoire institutionnelle de cette équipe, met en lien avec ses propres expériences d'encadrement, propose des pistes… Oui mais voilà : Je raconte mais je ne dis rien des interactions au sein du groupe, entre chacun des participants, l'institution, le dispositif et moi. Je tais mes ressentis, Je reste dans le prescrit du travail, je ne décris qu'une petite partie de la réalité professionnelle. Comment me permettre de comprendre ce qui m'a fait agir dans cette situation de travail ? Me faut-il chercher au-delà ? Où est-il cet au-delà ? Et si j'évoquais la compassion qui m'a saisie à l'écoute des difficultés de cet homme, mon désir de l'aider, ma crainte de le sentir près de s'effondrer, mon ambivalence à le laisser s'exprimer et à le laisser prendre tout le temps de cette intervention, mon agacement vis à vis de sa hiérarchie…? Et oui, cet homme, dans ce qu'il dit et expose avec ses fragilités m'émeut. Et déjà j'ai honte de parler de ces sentiments qui m'envahissent, de ma posture si peu professionnelle… Alors l'écrire… Je rature, modifie les paragraphes, change les titres, recommence, c'est long. Il me faut désincarner l'activité, la bouleverser, la faire autre, trouver les mots appropriés. Je relis enfin une dernière fois mon texte. Voilà que mon écrit soudain éloigne de moi l'action, il vogue en toute indépendance. Mes lecteurs en prendront connaissance sans que je puisse rien en dire, j'en perds la maîtrise, la complexité que j'ai tenté de traduire m'échappe. Que vont en penser les lecteurs ? Evaluent-ils ma capacité professionnelle à prendre de la distance ? Ai-je peur que mon écrit fige ma pratique ? Certes, je dévoile alors à la communauté de mes pairs une part de mon intimité, de mon histoire et les émotions qui me font agir, qui peuvent m'empêcher d'atteindre les objectifs visés par le dispositif pédagogique. Mais n'est-ce pas là le moyen d'une reconnaissance professionnelle sociale ? N'est-ce la condition de transformer son expérience en compétences ? A vos plumes ! J'attends avec impatience vos écrits sur le travail, vos doutes sur l'écriture de ces écrits, vos remèdes pour écrire vos pratiques professionnelles.

Charlotte Vasseur, Psychosociologue -Intervenante, Salariée Expression


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