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Radicalement vôtre ?


Extrait d'hystérisation des dialogues internes sur les éventuelles réponses aux appels d'offre de prévention de la radicalisation, de l'embrigadement, des dérives sectaires et de promotion des chartes locales de la laïcité.

Sophie (avec un air de deux airs) : Bonjour Briac, t'as cinq minutes ? Briac (encore avec son bonnet sur la tête, mais tout de go) : Salut Sophie, oui, oui, je les ai, tout de suite, si tu veux. Sophie (sourire en coin) : On a reçu un appel d'offre « Promotion de la laïcité, prévention de la radicalisation, de l'embrigadement et des dérives sectaires ». On doit répondre pour la semaine prochaine. T'es d'accord pour le faire ? Briac (patibulaire, mais presque) : Ohlalala, encore, ils me saoulent déjà avec ces trucs-là. C'est pour qui ? Sophie (très pro) : C'est pour la communauté d'agglomération de Villemonde sur Mondeville. Briac (technique) : Ils sont de droite ou de gauche ? Sophie (consensuelle) : Je ne sais pas mais peu importe. Le sujet est intéressant, il faut absolument que l'on se positionne, c'est un sujet porteur (retour du sourire en coin). Briac (les sourcils plissent cyniques) : Bah si, c'est important de savoir de quel type d'islamophobie appliquée ils ont besoin : une islamophobie de droite ou une islamophobie de gauche ? Sophie (avec une voix inhabituelle de professeure des écoles) : Là, franchement, tu exagères ! Ils s'interrogent, c'est pas mal de faire le choix de la remise en question, de prendre le temps d'y réfléchir. C'est un sujet délicat, sensible, empreint d'émotions encore vives. C'est plutôt une bonne chose, voire courageux de vouloir ainsi prendre les choses en main. Briac (avec une tête de fête foraine) : Toi tu as relu Dounia Bouzar récemment ou tu as entendu Gilles Kepel sur France Culture ? Sophie (faussement scandalisée) : Oh ! Quelle mauvaise foi ! Briac (têtu comme un breton radicalisé) : C'est pas très laïque comme réponse. Sophie (rire, disparition du sourire en coin et retour du ton pro) : Bon, en fait ils veulent 10 sessions de trois jours pour les acteurs de la jeunesse et de l'insertion. (voix robotique à très haut débit) Les objectifs sont les suivants : - Définir les phénomènes de radicalisation - Comprendre les processus et les méthodes d'embrigadement - Faciliter la compréhension du concept de Laïcité - Se positionner en tant que professionnel face au fait religieux et à ses formes radicales - Comprendre les éléments identitaires qui se jouent à l'adolescence et l'influence du contexte socio-culturel actuel : éclairages psychologiques et sociologiques - Identifier les signes préoccupants de radicalisation et savoir réagir (les circuits de signalement) - S'appuyer sur les valeurs démocratiques communes pour favoriser l'insertion sociale et professionnelle - Situer le sens et présenter la charte locale de la laïcité Briac (à la limite de l'implosion, en crescendo hystérique) : Aaaah, mais non, ils deviennent complètement dingues avec ça. Dingues ! Il est où le curseur de la radicalisation ? Qui le fixe ? De quelle radicalisation on parle ? De la radicalisation capitaliste ou de la radicalisation sécuritaire ? C'est sur ça qu'ils veulent travailler, tu crois ? Des nouvelles formes de radicalisations institutionnelles productrices d'incasabilité ou il s'agit d'autre chose ? A quoi ça sert à des acteurs jeunesse et insertion de comprendre les méthodes d'embrigadement ? C'est du travail pour la police, ça ! Pour les renseignements ! Qu'est-ce que ça veut dire de se positionner en tant que professionnel face au fait religieux et ses formes radicales ? On demande ça aux acteurs de l'insertion, maintenant ? C'est ça, la laïcité élevée au rang de concept ? T'imagines le concept ? Attends, collègue, je vais être un peu en retard, il faut que je me positionne face aux formes radicales du fait religieux du jeunot, là, il est plein de signes préoccupants et j'ai pas compris le circuit de signalement… On rêve, on cauchemarde ? Je sais déjà à quoi ça va ressembler, le truc : On va parler de-celui-qui-a-refusé-de-serrer-la-main-à-sa-conseillère-d'insertion-parce-que-c'est-une-femme? De-celui-qui-n-a-pas-voulu-bosser-au-franprix-parce-qu'-il-y-a-du-ricard-en-tête-de-gondole ? Ouh, je sens que ça va nous faciliter la compréhension du « concept » de laïcité, ça ! Ils vont faire quoi comme circuit de signalement ? Une appli pour smartphone : « signale un radicalisé ! Pour les radicalisations modérées, tapez 1, pour l'esquisse d'un embrigadement, tapez la touche 4, pour apprendre à parler des valeurs démocratiques communes à un embrigadé en voie de déradicalisation, tapez 6 ». Et alors, là, c'est le pompon des objectifs, c'est les valeurs démocratiques communes, alors ça, c'est vrai que ça vous favorise l'insertion sociale et professionnelle d'un seul coup ! Faut tenir compte de l'état d'urgence pour l'insertion démocratique ou pas ? Les jobs sous-payés à temps partiel en manutention qu'on propose aux gamins disqualifiés ça repose sur les valeurs démocratiques communes tu crois ? Aaaah, j'en peux plus de ce blabla en bouche en cul de poule institutionnelle ! C'est n'importe quoi ! N'importe quoi ! Pourquoi ils mélangent la laïcité et les processus d'embrigadement ? C'est quoi le lien ? Euh et sinon, j'comprends pas pourquoi ils veulent pondre un peu partout des chartes locales de la laïcité, il y aurait des variations régionales du concept de laïcité, tu crois ? C'est en Alsace, Villemonde ? Aaaaaaah, j'veux pas répondre à ça ! Laissons ça à d'autres, de toutes façons c'est toujours Dounia Bouzar qui gagne à la fin ! Faut pas qu'on réponde à ça ! Et puis t'as vu l'hypocrisie ! Jamais ils ne disent qu'il s'agit en fait de se vautrer une fois de plus dans la foire identitaire autour des signes réels ou supposés de l'Islam en France, genre la fausse neutralité, voilà, c'est ça, alors qu'en fait, c'est encore un déplacement des questions sociales sous le SIGNE implicite de la « guerre des civilisations », des « ennemis de l'intérieur », des jeunesses en « zones de non droit » du « communautarisme » et autres « crispations identitaires ». Sérieusement, tu crois que si un gamin ne trouve pas de job à Villemonde sur Mondeville c'est parce qu'il fait la prière et le ramadan voire qu'il kiffe le salafisme depuis six mois sur internet ou que ça a peut-être un petit peu plus à voir avec la carte scolaire des ghettos de la République et les taux de chômage record de ses quartiers dits prioritaires ? Faudrait plutôt leur apprendre à détecter des signes d'hystérie ethno-différentialiste institutionnelle, des signes de confusionnisme pseudo-laïque, des prophéties créatrices d'énervement de la jeunesse ségréguée, franchement, ils sont dingues, qu'est-ce qu'on fait, on les signale ? On leur propose un éclairage sociologique et psychologique sur les appels d'offre absurdes ? Juste pour situer le sens, comme ils disent ! Aaaaah, ça me fout dans une colère de rogne radicalisée ! C'est moi qui deviens fou ou leur appel d'offre est border line ? Sophie (nullement impressionnée) : Ca y est ? Tu as fini ? Je connais ce spectacle. Briac (étrangement soulagé) : Aaaah, ça fait du bien de gueuler. Sophie (après avoir repris une bouffée d'air consistante) : Mais alors, au final tu proposes quoi ? Ne pas répondre, laisser réellement la main à Dounia Bouzar ou à d'autres ? Tu crois que cela va la faire avancer, la « jeunesse ségréguée » ? D'ailleurs pas sûre que cela ne concerne que la jeunesse et que la ségréguée. Ah, ce beau discours et toute cette colère, il est louable d'avoir ainsi déjà plein d'idées mais ne crois-tu pas qu'il faille justement en faire quelque chose ? Ne serait- ce justement pas le moment idéal, cet appel d'offre ! Tu peux critiquer la demande, être en désaccord mais rien ne sert de le faire ici. Répondre à cet appel d'offre peut être justement l'occasion de présenter une autre façon d'appréhender les choses. Cette énergie vive qui est en toi, utilise-la dans ta proposition. Bien sûr, il faudra tout de même veiller à « entrer dans les cases ». Mais bon, on peut très bien imaginer répondre consciencieusement à leur demande tout en tâchant de les amener là où tu le souhaites. Et puis cette conseillère à qui on ne sert pas la main, elle existe. Tu veux la laisser seule ? C'est pas parce que les commanditaires posent maladroitement le sujet, le détournent, qu'il faut la laisser tomber ! Ne réponds pas et oui tu verras se développer cette application avec en plus la touche 7 « euh oui, je suis pas du tout d'accord avec cette façon de faire mais je ne propose rien ». En plus Briac, tu sais, en ce moment les appels d'offre discriminations, interculturalité n'ont pas le vent en poupe. J'en appelle au breton qui sommeille en toi. Nous avons, nous aussi réellement intérêt à répondre à ce genre de demande. Briac : (avec un air de p'tit enfant qui vient d'entendre une belle histoire) : Bon, je vais y réfléchir… Sophie (grand sourire entendu, issu de la prévention des conduites de procrastination chez les responsables de formation d'ici et d'ailleurs) : Euh… réfléchis pas trop longtemps quand même, c'est pour la semaine prochaine. Briac : (voix de poker menteur immature) : Oui, oui, promis ! Mais je pourrais faire une réponse critique alors ? Et puis, il faudra qu'on pense à créer une « commission méditation déontologique critique dans les réponses aux appels d'offre borderline », hein ! Sophie (soudain maternante) : Un peu critique, oui, mais pas trop. Briac acceptera-t-il de répondre à l'appel d'offre ? Combien de fois Sophie devra-t-elle le relancer ? La commission « méditation déontologique critique dans la réponse aux appels d'offre borderline » aura-t-elle le temps d'exprimer un avis ? Expression a-t-elle une chance de l'emporter ? Quelles seront les réactions de la commission d'analyse des offres de la communauté d'agglomération de Villemonde sur Mondeville ? Dounia Bouzar se positionnera-t-elle ? Vous le saurez peut-être en lisant la suite de « Radicalement vôtre ? », épisode 2, qui paraîtra prochainement…

Sophie Esnouf-Fofana et Briac Chauvel


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