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Comment dans le champ éducatif donner du sens aux questions autour de la laïcité ?


Après la lettre du mois de septembre, rédigée par Pierre Lénel sur ce que dit la loi, je me propose de revenir sur les questions de l'accompagnement éducatif autour de la laïcité.

Les débats sur la laïcité aujourd'hui sont vifs et polémiques. La laïcité défend le principe de la liberté, de la liberté de conscience de croire, de ne pas croire, de changer de croyance dès lors que cela ne trouble pas l'ordre public. Alors il est difficile d'aborder le sujet et plus encore avec les enfants, les adolescents, les jeunes. Pourquoi ne pas se référer à la déclaration des droits de l'homme, à la loi de 1905 à celle de 2004, à ce que dit l'institution dans laquelle les jeunes évoluent, aux différentes chartes « laïcité » ? Pour ma part, je trouve plus judicieux, dans le cadre d'un accompagnement éducatif, de partir des représentations des jeunes, des enfants autour de ce qu'évoque pour eux la laïcité.

Nous ne pouvons que tendre vers la neutralité

Je tenterai bien d'approfondir la notion de neutralité tant elle me semble éloignée de ce que représente pour moi un accompagnement éducatif. Soyons conscients que, au quotidien la neutralité pour l'Etat, l'institution, l'enseignant, l'éducateur, ou le jeune reste toute relative. La loi de 1905 s'inscrivait dans le contexte historique social et culturel de l'époque comme celle de 2004. La France est un pays de culture catholique, son calendrier, le choix de la plupart des jours fériés en attestent. Accompagner, c'est permettre à l'autre de cheminer, de s'interroger, de se questionner, d'apprendre, de se laisser confronter à une ou des réalités autres mais c'est aussi laisser l'autre choisir et affirmer son positionnement toujours singulier, c'est lui permettre de faire avec l'altérité. L'accompagnement peut-être individuel mais aussi collectif et sur un sujet comme la laïcité, je trouve particulièrement intéressant d'oser le débat avec un groupe d'enfants ou de jeunes. Prenons deux exemples issus de nos pratiques d'intervention : celui des foyers qui accueillent actuellement des mineurs dans le cadre de la protection de l'enfance et celui des Missions Locales qui sont en charge des questions autour de l'insertion des jeunes.

Redonner du sens à une laïcité renouvelée au regard de l'évolution de la société dans un contexte interculturel

Dans les deux cas, les groupes seront constitués de jeunes issus de familles, de cultures, de religions, de trajectoires différentes et si l'animateur suscite des questionnements autour des croyances, des pratiques religieuses et de la laïcité, il recueillera certainement des propos divergents mais aussi des positionnements qui convergent peut-être également. Comment alors ne pas redonner du sens à une laïcité renouvelée au regard de l'évolution de la société dans un contexte interculturel ? Tenter un débat sur la laïcité avec les jeunes c'est travailler sur l'identité, sur la singularité mais aussi la ressemblance : l'ipséité et la mêmeté dont parle Paul Ricoeur 1. Animer un débat sur la laïcité avec les jeunes c'est tenter de mettre en place un espace d'écoute, de présence de ce que dit l'autre : pourquoi la conseillère en insertion a-t-elle dit à ma mère qu'avec son voile elle ne trouverait jamais de travail ? Comment puis-je parler de mes croyances si tout le monde est prêt à se moquer de moi ? Pourquoi mes parents ne m'ont-ils jamais parlé de religion ? L'islam est-elle une religion dangereuse ? Les femmes voilées, enfin surtout celles qui portent la « burka », c'est insupportable. Je me sens mal à l'aise vis-à-vis d'elles. Le débat peut ainsi partir dans toutes les directions. Comment accueillir ces paroles ? Faut-il recentrer, recadrer le débat ? Comment intervenir si des propos racistes et/ou discriminatoires surviennent ? Comment l'accompagnant se positionne-t-il ? Penser et viser la coproduction de la relation d'accompagnement suppose que l'intervenant, l'animateur reconnaisse des capacités aux jeunes à faire vivre et à donner du sens à la laïcité. Par ailleurs, l'accompagnant n'est pas un réceptacle passif, que ce soit dans le cadre d'un accompagnement individuel entre un éducateur et un jeune ou lors d'une animation de débat. La relation ainsi créée peut activer des processus conscients et inconscients. Dans tous les cas, faisons l'hypothèse que se questionner ensemble sur la laïcité permettra à chacun, éducateur, enseignant, intervenant, conseiller de mieux se connaitre en se confrontant à nos propres croyances, à nos doutes et à la façon dont nous les exprimons ou pas face aux autres.

Christine Olivier, psychosociologue, directrice-intervenante Expression

1 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990.


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