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« Donnez-moi une boite à outils pour gérer la violence et les conflits"

Cette demande récurrente de certains participants à nos formations sur la « prévention et la gestion de la violence et des conflits » semble correspondre à une représentation de la violence comme étant un passage à l’acte isolé, extérieur, étranger à soi, uniquement lié au caractère supposé violent de l’Autre.Or, nous pensons que la violence est un processus complexe, comme le décrit André Levy1 : « Aucun motif d’ordre rationnel ne peut en effet expliquer comment des hommes peuvent être conduits à des actes de violence dirigés contre autrui, ou contre eux-mêmes. Qu’ils en tirent du plaisir, de la honte, de la culpabilité, […] , ils en ignorent le plus souvent la dynamique psychique complexe et l’histoire qui les a générées. Qu’elle s’exprime par des actes, dans la pensée ou par le langage, la violence – amoureuse, créatrice ou meurtrière – est en effet à la fois en nous et hors de nous  ». […]  « L’analyse clinique ne prétend pas supprimer la violence, mais elle peut aider à mieux en démêler le processus dont on a été à la fois le sujet et l’objet, l’acteur et la victime. Elle peut ainsi contribuer à réduire le risque d’un cycle mortifère sans fin dont les effets cumulatifs peuvent s’avérer de moins en moins maîtrisables. ».Ainsi plutôt que gérer la violence et les conflits, il s’agirait de faire AVEC la violence, d’aborder la violence comme un processus, comme un emboitement d’effets miroir de la violence entre :

  • Les publics accueillis et leur environnement (familial, social, …)

  • Les publics accueillis et les professionnel.le.s

  • Les professionnel.le.s eux-mêmes

  • L’institution et les professionnel.le.s, via l’organisation du travail

Pour illustrer cette approche de la violence comme processus, Jean-Pierre Pinel (1989) propose le concept d’homologie fonctionnelle, pour aborder la violence entre les publics vulnérables et les équipes les accueillant. Il décrit la résonance subjective entre équipes et publics. Ainsi, à propos des adolescent·e·s sans limites, à partir de l’observation du quotidien des équipes, il montre comment la fréquence et l’intensité des agirs violents chez les sujets accueillis conduisent les professionnels à « réagir » dans l’urgence. Tout se passe, précise-t-il, « comme si l’agir appelait le “contre-agir” de sorte que la psychopathologie se potentialise dans l’institution ». « Ainsi ces sujets mobilisent-ils un fonctionnement en miroir » conduisant l’équipe à fonctionner sur un mode similaire à celui des sujets accueillis2.



Léa Renouf propose une illustration d’un processus de transmission psychique de la violence du groupe familial en institution gériatrique3. Elle montre comment la violence du groupe familial, par emboîtements intergroupes peut se déplacer dans les liens soignants-résidents-familles en EHPAD. « Des affects, non élaborés, peuvent être projetés par les familles dans l’institution et sur l’équipe qui seront ensuite assimilées à « une mauvaise mère » et considérées comme responsables des pertes d’autonomie et des régressions constatées progressivement ou brutalement chez le résident. Ce déplacement de violence du groupe familial à l’institution gériatrique n’est pas seulement lié à la projection d’éprouvés violents, il concerne aussi le transfert de conflits intrafamiliaux au sein de l’institution ».



Pour finir sur une autre approche, D. Faure4 (2020) décrit, à partir d’une intervention auprès d’un établissement de protection juridique des majeurs, comment la vitre du guichet d’accueil devient le symptôme de l’existence d’une défense collective face à la demande du public ; défense qui, en conséquence, va isoler et exposer les agents d’accueil. A l’origine, le fait que les moments, dont les jeunes ont besoin pour partager leur peur, sans « demande particulière », c’est-à-dire objectivable, ne sont pas considérés comme faisant partie du travail. Ils relèvent de l’informel et sont donc le plus souvent disqualifiés. Ne pas considérer ces temps consiste à exclure implicitement de la norme collective de travail, la prise en compte de la souffrance psychique, et de délaisser ainsi une piste de compréhension de ce qui peut générer de la violence à l’accueil. Le traitement institutionnel réifie ainsi la violence par une réponse matérielle. L’alternative, plutôt que de se protéger par des murs, fussent-ils transparents, consisterait à élaborer les conditions et la visée d’un espace de parole qui permet la rencontre en contenant la peur de l’autre.



Ces quelques illustrations nous montrent que nous ne sommes jamais totalement étrangers à un acte de violence, ne serait-ce qu’au travers de la résonnance qu’il peut trouver en notre propre violence.



Ainsi faire avec la violence, c’est la resituer dans un système complexe. Pour commencer, à l’instar de la démarche interculturelle – qui consiste à aller à la découverte de son propre univers de référence afin de mieux aller vers l’autre – faire face à la violence de l’autre commence par s’interroger sur son propre rapport à la violence.



Bien sûr, nous sommes un peu loin de la « boite à outils » mais pour finir sur une touche d’humour : « le risque quand on a un marteau c’est de ne plus voir que des clous ! »




Anne Dominique Derieux, coach, psychothérapeute et formatrice


Laetitia Ricci, psychosociologue clinicienne, coach et formatrice




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