top of page

ECRIRE EN PRESENCE DES AUTRES - J'écris pour penser ou je pense pour écrire...

Pour Paul Ricoeur : « l'identité humaine est une identité fondamentalement narrative ». Aussi, notre construction identitaire est constamment en mouvement, dynamique dans une forme de dialogue entre intériorité et extériorité, de dialogue entre nous et ceux qui nous entourent. Pour moi, se raconter par l'écriture aide à penser ce que nous sommes et notre évolution intrapsychique. L'accès progressif à la narrativité est un processus de mise en lien. Cela peut donc être mis au travail à travers l'intersubjectivité dans un groupe. Se raconter à soi-même et à autrui permet de trouver/créer (au sens Winnicottien) une place dans le monde. C'est un processus complexe que nous avons tenté d'expérimenter entre intervenant.e.s dans le cadre d'un atelier au sein du dernier séminaire Expressionniste qui a eu lieu fin janvier 2023. Dans notre collectif, un groupe nommé « GIPsy » (Groupe de réflexion sur l'Intervention Psychosociologique et la conduite de groupe en formation) existe depuis février 2019. Actuellement, les échanges dans ce groupe se déroulent en visioconférence pour faciliter la participation d'intervenant.e.s répartis sur tout le territoire national. L'objet de travail du GIPsy s'appuie sur la lecture de récits de pratiques produits par des intervenant.e.s d'Expression. Il s'agit de tenter d'élaborer ensemble sur les positionnements pluriels de l'institution Expression à partir de la diversité des approches, sensibilités et ancrages épistémologiques qui constituent notre collectif. C'est dans le GIPsy que s'est constitué un petit groupe de travail 1 qui a élaboré autour de cet atelier expérimental pour le séminaire. Ainsi, l'atelier que nous avons proposé a permis à chacun.e « d'explorer le processus d'écriture pour soi en présence des autres » . 2 Nous avons constitué quatre petits groupes parmi les vingt participant.e.s du séminaire avec un animateur par groupe. Nous avons choisi de conduire cette expérimentation en reprenant le processus de travail que nous avons l'habitude de suivre dans le cadre des travaux du GIPsy : partir de l'individu pour aller vers le grand groupe en cheminant par le petit groupe. De ce fait, il nous a semblé important de réserver des espaces d'écriture et d'échanges pour chacun des petits groupes constitués de façon aléatoire. En tant que co-responsable du groupe GIPsy, j'ai présenté l'atelier puis j'ai animé un des quatre groupes avec quatre participant.e.s à partir de la consigne commune suivante : « Rédigez, avec vos mots, un récit à partir d'une situation vécue dans le cadre de votre univers professionnel » 3 . Pour introduire le travail auprès de ce petit groupe, j'ai choisi de m'appuyer sur le propos des auteurs de l'ouvrage « Ecrire l'expérience ». Une fois installés, j'ai ouvert le travail avec cette phrase : « C'est d'abord une écriture pour soi qui ne sait pas ce qu'elle va écrire ». Puis, pour démarrer le récit, j'ai proposé de l'aborder à partir de l'instant précis où une situation de travail a été perçue comme problématique ou énigmatique par les participant.e.s. Il s'agissait pour moi de solliciter chacun.e dans son savoir professionnel pour expérimenter ce que cela fait d'écrire sur ses pratiques. Ce n'est pas la production ou le contenu des écrits qui devait être mis au travail. Aussi, à la suite de ce temps d'écriture assez court, chacun.e a pu exprimer son vécu du processus d'écriture sur ses pratiques. Cela a pu « toucher à l'émotionnel », « ouvrir des pistes possibles », « réveiller des choses », « attraper la tension dans le présent » pour reprendre les mots des participant.e.s. Ce qui indique une forte implication dans cette expérience commune. Mais, qu'est-ce qu'a produit l'écriture en présence des autres dans ce groupe ? Des sensations liées au calme, au bruit du stylo qui signifie l'écriture et le rythme dans le groupe ont été partagées. Ainsi, écrire peut apaiser une tension mais aussi, écrire ensemble peut susciter une intensité pour être avec le groupe, dans ou hors du groupe. Qui a fini d'écrire ? Quel est le rythme de chacun.e ? Comme un jeu ensemble... Dans le cadre d'un atelier d'écriture, Françoise Bréant précise que « la présence des autres contribue à établir un espace de parole, d'expression et de création dans lequel il est possible de ménager des étapes, des passages, des transitions et d'inventer des modalités les plus subtiles possible de ce que l'on pourrait peut-être appeler un voyage trans-narcissique. » 4 En tant qu'animateur, j'ai choisi d'être avec le groupe en écrivant moi-aussi en présence des autres. Cela a participé d'une véritable intensité pour ensuite restituer nos échanges lors de notre retour dans le grand groupe du séminaire pour transformer cette expérience. Pour Mireille Cifali : « Penser, c'est écrire et se faire lecteur de soi-même : transformer ce qui a entrepris de s'inscrire. » 5 Dans le groupe que j'ai animé, nous n'avons pas choisi de lire nos écrits mais d'autres groupes ont fait ce chemin. Cela a permis d'opérer des liens avec des vécus de parcours de scolarité. Ici, le processus de narration dans un groupe, au sens d'aller-retours entre l'individu et ses groupes d'appartenance permet de déconstruire des représentations négatives du passage à l'écrit et de reconstruire ensemble. Pour conclure, écrire est aussi un moyen de transmettre son expérience. Dans le GIPsy, nous espérons que cette expérience d'écriture ouvrira la possibilité de nombreuses transformations (au sens de l'ovalie) vers de précieux récits producteurs d'élaboration en groupe. Ce qui rejoint la thématique du séminaire qui concernait la transmission et la transformation. Au regard de cette expérience, ce n'est finalement pas étonnant qu'un organisme d'intervention psychosociologique comme Expression ait démarré son activité il y a déjà 35 ans avec l'écriture professionnelle comme support d'intervention !

Cédric Chevalier, analyste des pratiques professionnelles

1 Groupe comprenant Maxime Checinski, Cédric Chevalier, Manuel Herrera, Bénédicte Legué et Paula Pichintini. 2 Formulation choisie par Paula Pichintini et Cédric Chevalier (co-responsables du GIPsy) pour ouvrir la présentation de l'objet de cet atelier auprès du groupe du séminaire. 3 Consigne élaborée dans le groupe de préparation de l'atelier. 4 Françoise BREANT (2014) Ecrire en atelier. Pour une clinique poétique de la reconnaissance. Paris : L'harmattan, p.64. 5 Mireille CIFALI Alain ANDRE (2007) Ecrire l'expérience. Vers la reconnaissance des pratiques professionnelles Paris : PUF, p.205.

bottom of page