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Isolement, télétravail : repenser le rapport au travail


La crise sanitaire et économique nous contraint à transformer notre rapport au travail, elle peut entrainer, pour certains, un repli sur soi, un sentiment de solitude et d’isolement qui envahissent totalement la vie quotidienne. Dans le cadre de dispositifs de soutien individuel mis en place à la demande de certaines structures nous avons pu recueillir quelques témoignages. Mme X travaille depuis plus de vingt ans dans un service administratif et juridique au sein d’une structure médico-sociale. Elle a déjà constaté une dégradation des liens sociaux depuis quelques années au sein de son établissement. « De toutes les façons, je ne fréquentais déjà plus la cafétéria et avais très peu de relations avec les collègues. » Cette situation s’est encore accentuée avec la crise sanitaire. Elle vit seule, a pris l’habitude avec le premier confinement de ne plus se déplacer en transport en commun notamment pour se rendre sur son lieu de travail. Elle souffre de plus en plus du manque de liens avec ses collègues. Les réponses laconiques à des mails professionnels ne suffisent pas à combler ce vide. Elle ne supporte plus les formules bienveillantes utilisées dans les mails qui sont dénuées de significations pour elle. Elle guette les signes de reconnaissance que pourrait lui donner son manager mais en vain : même les réunions sur « teams » ou « zoom » n’ont pas cette visée. Elles sont encore plus efficaces et organisées de manière que tous les temps soient productifs et cadrés. Mme X ne se sent pas à l’aise avec ce type d’outil. Cette femme a peur d’évoquer son ennui, elle a peur de déranger des collègues qui seraient, contrairement à elle, « surbookés ». Son sentiment de culpabilité grandit. Elle a pu être en conflit avec son responsable hiérarchique mais tout semble maintenant huilé, dépourvu d’affects et d’émotions. Le sentiment de vide, de manque, d’inutilité, de monotonie se renforce jour après jour. Dans cette période d’incertitude forte, cette personne éprouve beaucoup de difficultés à investir dans de nouveaux projets, C’est comme si tout était en quelque sorte figé. Pour l’intervenant qui tente de travailler sur les risques psychosociaux plusieurs pistes de travail s’ouvrent alors : - Ecouter la personne mettre des mots sur ce qu’elle vit pour pouvoir explorer, comprendre ce qui était déjà à l’œuvre avant le confinement mais qui se dégrade avec les contraintes actuelles - Tenter de trouver avec la personne des pistes pour qu’elle puisse transformer ce qui se passe pour elle : comment contacter ses collègues, être force de propositions vis-à-vis de sa hiérarchie, prendre des risques et des initiatives? Comment rendre compte de cette situation au manager et à la responsable des ressources humaines. Comment faire face au refus, aux émotions des autres ? Nous savons qu’à l’interface de l’individu et de sa situation de travail, la santé psychique n’est pas seulement une dynamique individuelle, elle se construit dans la relation aux autres : par la reconnaissance, la possibilité d’échanges et de coopération dans le travail, avec le soutien des collègues et de la hiérarchie. Le rôle d’accompagnement par les managers de proximité, est ici, comme toujours dans tout contexte de changement, fondamental. La personne en télétravail risque, en effet, de se considérer de plus en plus comme un simple outil et de ne plus pouvoir entrevoir sa place de sujet dans l’investissement de son travail. Si les réunions sur « zoom », « teams » ou autres plateformes, sont indispensables, à défaut de réunions en présentiel, elles ont besoin d’être repensées en prenant en compte la difficulté de créer et de susciter des interactions et des échanges y compris pour expliciter ses préoccupations en lien avec la crise sanitaire et économique. A delà des recettes, trucs et astuces, pour bien manager à distance, c’est la réflexion sur la conception du travail qui intègre les relations interpersonnelles et groupales qui peut être remise sur le métier. Autre témoignage : Mme V. est coordinatrice technique dans le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance. Depuis 1 an, elle anime ses réunions d’équipe, à distance. Au départ, elle était tétanisée par la technique, totalement réfractaire aux réunions en visio. Mais elle a dû admettre très rapidement, que c’était le seul moyen de réunir toutes ses collaboratrices, de faire avec les contraintes et les peurs de chacun. Comment pouvait-elle continuer à exercer sa fonction de responsable, elle qui se sentait si démunie, sans formation, sans accompagnement, souvent en-deçà des compétences de ses collaboratrices ? Mme V. participe à un groupe d’analyse des pratiques managériales, que j’anime depuis 1 ½ an maintenant. Je les ai accompagnées sur ce chemin de la découverte et de l’appropriation de ces nouvelles technologies au service d’une autre façon de travailler. Après 4 mois d’interruption du groupe, nous cheminons ensemble, au gré des aléas, consignes, nouvelles consignes, directives, contre-directives, ordre, contrordre. Lors du déconfinement, chacune a pu poser des mots sur ses ressentis, ses craintes, ses rejets. Petit à petit les pratiques du management à distance, se sont invitées comme objet de travail. Elles ont imaginé des façons d’animer, des temps informels dans les réunions-visio, des temps pour accueillir émotions et ressentis, des « filets de sécurité » en cas de dérapage. Puis, les questions fondamentales sont revenues : Comment tenir un cadre quand tout bouge tout autour ? Comment poser des limites (dans le temps et l’espace) entre privé et professionnel ? Comment permettre à chacun.e de tenir une place, de jouer un rôle dans la transformation des missions ? « Ce mouvement incessant d’exigences nouvelles, réglementations, procédures, etc. est l’une des modalités d’emprise et de destruction, opérée aujourd’hui au plus haut niveau de l’état. Ce flux constant d’excitation contraint à l’immédiateté, inhibant tout mouvement d’appropriation subjective. »1 C’est pourquoi face à cette crise sanitaire, au développement forcé et accéléré du télétravail, nous proposons de retrouver une « expérience subjective du travail ». C’est-à-dire une expérience sur laquelle il est possible de poser un récit pour retrouver du pouvoir d’agir. Parce que se réapproprier le travail passe par le développement d’une activité dégagée du machinal, de l’imposé sans comprendre, pour devenir plus consciente et volontaire, nous mettons en place des espaces où il est possible de repenser les « allants de soi » et les évidences.

Christine Olivier, psychosociologue, directrice d'Expression Et Laetitia Ricci, psychosociologue, formatrice et accompagnante de la transformation des organisations et des territoires


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