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Pourquoi la régulation peut-elle faire peur ? Notes et réflexions sur la rencontre-débat

La régulation peut faire peur, mais la bonne façon de l'affronter est de la mettre au centre du débat et de décortiquer ce qu'elle peut être comme dispositif d'intervention, mais aussi de jeter la lumière sur ce qu'elle mobilise chez nous, intervenants, et clients. C'est ce nous avons fait ensemble, l’équipe Expression et les participants de la dernière rencontre-débat de la matinée du 10 février 2023, qui s’est déroulée à Paris.

Animée par Christine Olivier, directrice d'Expression et Laetitia Ricci, psychosociologue, la rencontre a réuni en maj

orité des intervenants intéressés par des espaces d'échange et de formation sur le sujet. Malheureusement, peu de commanditaires étaient présents, ce qui donne à réfléchir sur les tabous qui entourent ce dispositif et qui peuvent rendre difficile à la fois la reconnaissance du besoin de régulation et les bénéfices qu'elle peut apporter. J'y étais présente en tant qu'intervenante et formatrice d'Expression, et je partage ainsi avec vous mes notes et réflexions. À travers la proposition d'un exercice de photolangage avec les cartes du jeu DIXIT, toujours invitantes à l'association et mobilisant l'imaginaire, nous avons témoigné le partage de représentations sur la régulation qui évoquaient le chaos, les émotions disproportionnées, les confusions et l'indistinction. En contraste avec celles-ci, nous avons également vu émerger des représentations de la régulation comme espaces de protection, de contenance, de limites, de distance entre le chaos du groupe et le rôle de tiers de l'intervenant. Face à ces images, nous nous sommes demandé en quoi les conflits et les émotions vécus par les groupes nous affectaient ?, quelle posture était nécessaire pour y faire face ?et quel dispositif il était possible de construire pour aider les groupes et les organisations à dépasser les situations difficiles. ? Il existe différentes situations types de régulation et il est important de les distinguer pour mieux les comprendre. Il y a la régulation comme moment formel à la fin de chaque rencontre de groupes qui perdurent, comme les dispositifs d'analyse des pratiques professionnelles ou de supervision collective. Dans ce contexte, on se préoccupe de la façon d'interagir des membres du groupe, ce qui permet de comprendre et de travailler sur ce qui s'y passe en tant que processus. Une autre situation type, plus informelle, est celle où la régulation s'invite dans ces groupes, revenant à l'intervenant de l'intégrer et de l'accueillir dans les limites du cadre du dispositif. Si le besoin de régulation va au-delà, on peut penser à la mise en place d'un dispositif, nommé comme tel, qui serait le troisième type de situation. Dans ce cas, la régulation est faite pour réguler une situation conflictuelle spécifique, au sein d'une équipe par exemple. Enfin, un quatrième type de situation de régulation, le plus difficile d'entre eux, est celui où la régulation est présentée comme une commande institutionnelle. Dans ce cas, il y a une plus grande marge de manœuvre pour coconstruire une démarche par étapes, qui soit adaptée à la situation rencontrée, aux personnes impliquées et au contexte. L'aboutissement de ce dispositif est le changement au niveau organisationnel. Concernant cette dernière situation type, Laetitia et Christine nous ont présenté plusieurs exemples de régulations menées par Expression, et les participants ont pu aussi partager leurs expériences et leurs questions. Les échanges ont montré que la démarche de régulation requiert la capacité de bien analyser les différentes demandes existantes et les situations dans leurs différentes strates, tout en articulant les dimensions individuelles, collectives et institutionnelles. L'intervenant doit faire preuve de créativité et de flexibilité pour adapter son approche à la tournure parfois inattendue du processus, ainsi que de la disposition psychique nécessaire pour travailler avec les conflits et les différences, contenir et tenir le cadre, tout en sachant jongler entre la fermeté et la souplesse. Il s'agit sans aucun doute d’une tâche exigeante, mais très stimulante sur le plan intellectuel et émotionnel. Certains éléments importants ont été mis en évidence à propos de ce processus de co-construction du dispositif de régulation institutionnelle. Tout d'abord, il est essentiel qu'il y ait un soutien institutionnel formalisé de la part du client reconnaissant le besoin et garantissant la mise en œuvre de l'intervention. Ensuite, il est important de réfléchir, à partir d'un état des lieux bien fait, à qui devrait être impliqué dans la régulation et comment. Il y a une attention et un travail permanent à faire autour des sens des dispositifs proposés, tel qu'ils sont vécus par les acteurs impliqués, y compris par l'intervenant lui-même. Face au sentiment de confusion qui émane généralement d'une demande de régulation, les sens peuvent avoir tendance à se perdre, ce qui implique un effort constant de mise en clarté du cadre et de l'objectif des dispositifs et de l'intervention. Et à propos des objectifs attendus d'une régulation, une question devient incontournable : après tout, « c’est quoi réussir un dispositif de régulation ? » Ce fut un sujet de débat à la fin de notre rencontre : quelles sont les attentes vis-à-vis d'un tel dispositif ? Il faut sans doute de la modestie et lutter contre une vision de sauveur. La régulation peut être comprise comme un point de passage dans les processus des ensembles intersubjectifs et, malgré le sens auquel elle renvoie, elle ne parviendra évidemment jamais à tout réguler. En effet, le mot « réguler » dans le dictionnaire Larousse signifie « assurer le fonctionnement correct, le rythme régulier d'un mécanisme ». En ce sens, il semble important de déconstruire l'idéal sous-jacent à l'idée d'un fonctionnement correct à atteindre par le biais de la régulation. Un premier pas, pour faire face à la peur que la régulation peut engendrer, consiste peut-être à accepter l'idée qu'il n'y a pas d'état correct à retrouver ou à atteindre. Les conflits sont inhérents à toute vie psychique et sociale : ils sont parfois latents, parfois explicites, soit plus conscients, soit moins, avec des conséquences plus ou moins délétères. Mais ils sont toujours là, à l'œuvre dans les collectifs. Vus comme faisant partie d'un processus continu, les conflits ne peuvent jamais être totalement « réglés » au sens donné par Larousse de « donner une solution complète, définitive à quelque chose qui fait problème ». On peut réfléchir à la manière dont cet idéal est susceptible d'entraver le travail de l'intervenant qui, dépositaire de l'espoir d'une solution définitive au problème, peut avoir du mal à valoriser les petites avancées, les déplacements, la libération de la parole et la prise de conscience des personnes impliquées, rendus possibles par la mise en place du dispositif de régulation. La régulation est un point dans un processus plus large qui la précède et la dépasse, dans laquelle l'intervenant s'engage à apporter sa contribution, son grain de sable, pour rendre les relations un peu moins souffrantes. Même si la paix, toujours exceptionnelle dans la constance de la guerre, n'est pas trouvée, le levier que la régulation peut apporter n'est pas du tout anodin.

Carol Vargas, psychosociologue clinicienne, intervenante et formatrice à Expression



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