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Une expérience de photolangage à distance


Dans un souci d’adaptation au plus près des contraintes et besoins de ses clients, Expression a mis en place, via ZOOM, un groupe de travail, de réflexion et de retour sur expériences, pour penser l’impact de l’utilisation d’une plateforme de communication et la transformation de nos dispositifs dans l’accompagnement des professionnels, tout en restant fidèles à nos principes d’intervention.


Voici un témoignage pensé à 2 têtes, parlé à 2 voix et écrit à 4 mains, entre l’intervenante et une participante d’une expérience de photolangage à distance, réalisée dans ce groupe.


L’intervenante : Pour moi, en tant qu’intervenante, ma question fondamentale est comment puis-je maintenir ma posture clinique et ne pas succomber à la fascination, qu’elle soit positive ou négative, de la technologie ?


Dans ma « boite à outils » d’intervenante, il y a les images, les images langagières mais surtout les images que l’on peut toucher ; celles qui passent de mains en mains dans le photolangage. Celles que je créée dans mes médiations plastiques. Celles que je n’arrive plus à inviter depuis que je travaille en ZOOM. Alors j’ai décidé de sauter le pas et d’affronter mes craintes dans ce groupe interne.


La participante : Dans le cadre de ce groupe, j’ai assisté à une séance de photolangage animée par une des professionnelles qui y participe.


Dans l’intervention clinique, le travail avec les images opère un mouvement psychique régressif à travers une invitation à l’usage de sensations archaïques qui précédent ou détournent le langage. La pulsion de voir chez S. Freud est lié à un plaisir du savoir, à une curiosité éveillée par l’énigme sur l’origine des enfants1. Le travail à distance est un dispositif qui amène également à un mouvement régressif par son implication visuelle, associée à des expressions infantiles. « Les sensations primitives sont très sollicitées par ces nouvelles techniques de communication » 2.


Tel un enfant, j’ai été assez impatiente et curieuse de voir et surtout d’éprouver une séance de photolangage en distanciel. Mon impatience était étroitement liée à ma réticence ou mon incrédulité vis-à-vis de l’usage des supports visuels à distance. Dans ces dispositifs, je ressens le poids du surinvestissement visuel qui pourrait m’empêcher de me projeter.


J’avais des questions qui étaient en lien avec mon expérience du photolangage en présentiel. Comment faire pour regarder des images sur les images des autres ainsi que de nous-mêmes affichées dans l’écran ? Comment faire le choix dans l’écran des photos à travailler ? Comment ces images vont-elles circuler dans le groupe-mosaïque ? Cette circulation d’images demande un mouvement multiple, complexifié par le distanciel.


L’intervenante nous a proposé de choisir une photo qui représente pour nous, le mieux l’idée de groupe. Nous avions reçu par mail un fichier avec les photos. Afin de regarder les photos, nous devions quitter momentanément la mosaïque-groupe pour y revenir ensuite. Nous devions ainsi répéter ce mouvement de sortir de la mosaïque-groupe et aller vers le fichier à chaque fois qu’un des membres présentait l’image choisie. Chacun.e pouvait s’exprimer autour de ce à quoi la photo choisie par les autres ainsi que le récit de ce choix, lui renvoyaient.


J’ai quitté la mosaïque-groupe des visages des participant.es pour choisir ma photo. Mes questions initiales autour de la circulation des photos (telle qu’elle arrive en présentiel) ont été rapidement remplacées par la possibilité que j’avais de regarder dans mon écran toutes les images, les unes à la suite des autres, sans besoin d’attendre que les autres membres les aient regardées et les fassent circuler. J’ai choisi assez vite une image : celle d’un collage constituant le visage d’une femme créé à partir des plusieurs bouts de photos des différentes parties du visage. Lorsque j’ai partagé mon choix, j’ai dit avoir pensé à l’idée qu’un groupe était une entité à part entière composée par des individus différents. J’ai également partagé penser le groupe comme une construction, tel ce collage-visage de femme.


Cette expérience me fait penser que le travail avec l’image, le photolangage, auquel j’ai participé, s’est adapté sans problème au dispositif à distance. Je pense que mon choix de la photo était intimement lié au caractère distanciel du dispositif. Cette expérience me fait penser que le travail clinique avec l’image à distance, tel celui du photolangage, est possible, pouvant constituer un dispositif à part entière. Ce que j’avais projeté comme une complexification du mouvement psychique par rapport au présentiel, s’est avéré être pour moi un déplacement vers l’écran comme espace physique et psychique de travail à part entière. Je reste avec une question : lorsque nous avons regardé les images proposées pour le photolangage, avons-nous quitté le groupe ?


L’intervenante : J’avais raison de redouter d’animer un photolangage à distance. Au cours de cette expérience, je me suis retrouvée désemparée. Si dans le photolangage, selon R. Kaës : « l’image est utilisée, avant tout dans le but de produire un effet de langage, pour favoriser la parole ; pour moi, l’image a une dimension plastique et sensorielle, elle ne concerne pas que mon sens de la vue, elle engage l’ensemble de mon corps. Elle vient me chercher du côté du toucher, des ressentis, des émotions. C’est pour cela que je n’ai pas pu regarder les images à l’écran. Il m’a fallu, après avoir exprimé mon émotion au groupe et mon désarroi d’animatrice, les imprimer. J’avais absolument besoin de les toucher et de les manipuler. Ce faisant, je suis passée du groupe, en 2 dimensions, sur mon écran, aux images en 3 dimensions dans mon bureau. Et curieusement, ces allers-retours m’ont permis de vivre une expérience intense dans les 2 environnements : collective, d’intersubjectivité dans les rebondissements sur l’écran plat, au sein du groupe-mosaïque et individuelle, passant par le corps, grâce à mon immersion dans les images imprimées.


Laetitia Ricci, psychosociologue, formatrice et accompagnante de la transformation des organisations et des territoires et Paula Pichintini, formatrice et intervenante clinique


1 « Le premier problème qui le préoccupe, conformément à l’histoire de l’éveil de la pulsion de savoir, n’est pas la question de la différence des sexes, mais l’énigme suivante : d’où viennent les enfants ? » Freud, S. (1905) Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard Ed. (1987), Paris, p.150

2 Eiguer, Alberto (2018), Recherches en groupe et skype, Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe n°70, Erès p. 151



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