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Régulation institutionnelle : analyser et transformer les demandes des différentes parties prenante


Psychosociologue clinicienne, j’interviens pour conduire des dispositifs auprès d’établissements publics : des collectivités territoriales ou des hôpitaux. Il s’agit de faire évoluer des situations conflictuelles voire violentes enkystées depuis longtemps dans les organisations du travail et pouvant entraîner de la souffrance, de nombreux arrêts maladie et un turn-over important. Ces demandes sont souvent exprimées sous la forme d’accompagnement d’équipe ou de supervision et rarement sous la forme de régulation. Mais s’agit-il d’une demande ou d’une commande ? En théorie, voilà comment nous pourrions différencier commande et demande « Au sens le plus général, la demande est l’acte par lequel on fait connaître à quelqu’un ce qu’on désire obtenir de lui ; elle appelle cet autre à répondre. Dans le champ de la psychosociologie, la notion de demande amène donc à concevoir l’intervention du psychosociologue comme une réponse à une adresse qui lui a été formulée. »1. « La commande est émise par les décideurs. Ils parlent au nom des autres, des salariés supposés bénéficiaires de la prestation. La demande, à l’inverse, suppose de parler en son nom, de faire part des interrogations, voire des difficultés qui motivent le désir de coopération. La position du commanditaire est « classiquement » celle du prescripteur, alors que celle du demandeur est celle de partenaire de travail. L’objet de la commande diffère, aussi, de celui de la demande : le premier concerne l’acte, la prestation à réaliser ; le deuxième désigne plutôt ce qui fait problème. »2.> IMais dans la réalité actuelle, Il est parfois difficile d’identifier quels sont les décideurs tant les acteurs pris dans des organisations bureaucratiques et/ou technocratiques sont nombreux. Prenons un exemple concret qui va illustrer la complexité de déterminer dans le contexte actuel quelle est la commande. Dans le cadre d’un appel d’offres « d’accompagnement d’équipe » quels sont les commanditaires ? Est-ce les personnes qui rédigent le cahier des charges qui s’inscrit dans un accord cadre ? Serait-ce la première commande ? Est-ce les personnes qui rédigent à nouveau dans le cadre d’un marché subséquent ? Serait-ce la deuxième commande ? Est-ce les personnes qui, à la direction des achats, nous demandent de baisser les prix puisqu’elles ont sélectionné trois organismes compétents dans le cadre de l’accord cadre ? Serait-ce la troisième commande ? Cette dernière demande des acheteurs est d’ailleurs formulée non pas comme une commande mais bien avec la forme dont sont capables aujourd’hui les managers c’est-à-dire, d’une personne incarnée qui s’exprime en visio dans le cadre d’une réunion dédiée. Cette personne parle en son nom et s’octroie un pouvoir que les autres lui laissent. Effectivement, cette personne défend surtout son intérêt stratégique, par exemple pour un acheteur d’une collectivité territoriale, il s’agit de baisser les prix des interventions et cette demande est clairement exprimée sans négociation possible. J’ai répondu ainsi à une troisième commande, demande… Et ma réponse était forcément décousue de sens puisqu’il devenait impossible de concilier l’analyse du contexte, les contraintes économiques, méthodologiques et les compétences des intervenants au vue du nombre de personnes concernées par l’accompagnement d’équipes. Nous avons été retenus malgré cette réponse écrite inadaptée. Si je reprends l’importance qu’il y aurait à différencier commande et demande, les intervenants potentiels, qui travaillent en équipe projet au sein d’ Expression, ont accepté cette mission et ont par la suite identifié des acteurs différents pour porter la commande, pour l’un c’était le N+3, pour l’autre le N+2, pour l’autre le service formation (deux ou trois personnes dont nous avons du mal à identifier les rôles précis) pour d’autres des conseillers en travail social qui dépendent du Pôle territoire et service de proximité. Le travail de l’intervenant ne commence - t - il pas au moment où il peut identifier clairement les personnes en capacité d’émettre une demande en rapport à une problématique qui les concerne directement et qui acceptent de la faire évoluer ? Mon deuxième exemple sera beaucoup plus rapide puisqu’il s’agit d’une directrice d’un établissement hospitalier qui émet juste la nécessité impérative que cela change. Telle est la commande. Les intervenants, dans ce deuxième cas, peuvent davantage analyser les différentes demandes on « non-demandes » qui ont forcément étaient contradictoires tant les conflits étaient présents entraînant violence et souffrance pour la plupart des professionnels concernés. Dans ces exemples nous voyons bien que le commanditaire n’est pas toujours l’acheteur ou même le directeur et qu’il devient de plus en plus difficile de l’identifier. Se centrer sur l’évolution des demandes des parties prenantes Il me semble que la démarche est avant tout d’identifier nominativement les personnes avec qui nous pouvons travailler et qui, dans le cadre d’une régulation ont forcément des divergences, elles doivent représenter les parties prenantes engagées dans un travail collectif. Formuler une demande nécessite d’accepter le refus, la négociation, la transformation de ses représentations et de son point de vue. Or ces enjeux sont au travail lorsque l’intervenant peut questionner les demandes et constater leurs évolutions tout au long du dispositif. L’intervenant se confronte ainsi à la pluralité des demandes ou des « non-demandes ». Dans le cadre de régulation institutionnelle, certaines personnes se sentent contraintes d’accepter le dispositif mais n’en mesurent pas l’intérêt. Le premier objectif peut-être, par exemple, de se mettre d’accord sur l’objet de travail, sur l’objet du désaccord, du conflit, des divergences. Dans le cadre de la régulation cela peut consister à mettre en lumière les différents conflits qui existent mais qui peuvent être niés par certains acteurs. Permettre à une personne, quelle que soit sa place dans l’institution, d’accepter d’émettre une demande qui la concerne, c’est-à-dire qui lui permette de se positionner autrement, de faire évoluer ses représentations est déjà un premier pas. Travailler sur les demandes, analyser les demandes incitent ainsi chaque acteur quelle que soit sa position hiérarchique et son identité professionnelle à se positionner d’emblée dans un travail coopératif. Il accepte de se remettre en question et de renforcer son pouvoir de penser, de ressentir et d’agir. Christine Olivier, psychosociologue clinicienne



1.VOCABULAIRE DE PSYCHOSOCIOLOGIE - Demande - Christian Michelot - 2002, pages 324 à 328

2.L'ACTIVITÉ AU CŒUR DE L'INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE - Gilles Amado, Dominique Lhuilier - Groupe d'études de psychologie | « Bulletin de psychologie » - 2012/3 Numéro 519 | pages 263 à 276

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